J’aurai pu donner un titre plus original à cet article, du genre « L’astre noir venu de mars » ou « Où m’emmèneras-tu cette fois-ci Guillaume, quelle porte ta belle musique va t-elle m’ouvrir aujourd’hui?». Mais sans mélo ni pathos, la musique de Guillaume Favray m’a été thérapeutique, très omniprésente dans ma vie et aurait fait fureur dans le top 5 de mon 31 Songs imaginaire .
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris
Ma découverte de la musique de Guillaume, c’était il y a longtemps. Je devais être paumé et perdu certainement, la tête au fond des chiottes à chercher l’oxygène. Le soleil était noir, et une amie mettait des mots doux sur ses Nouvelles par les ondes. Pendant qu’elle essayait de porter ma croix en parlant à mon idole, elle se retrouva à me faire écouter des chansons d’un groupe du nom de Kaliocha. Sur le moment, je ne me rappelle plus si j’avais adoré ou envoyé valser leur musique. Je venais tout juste de faire une overdose d’un VLP à l’odeur de Jack Daniel’s, au goût amer des Années Sombres sous un final d’une voix venue d’ailleurs, celle d’Antony Hegarty pour rendre la digestion plus facile. J’ai écouté et ré-écouté pendant toute une nuit, j’ai essayé de comprendre ces paroles, de me demander si je ressentais encore quelque chose, si y a toujours de l’espoir. Elle était là, il était là, … ils étaient là tous les deux.
Il était l’ombre de ce que je voulais être, l’ombre de ce que je ne serai jamais. Guillaume Favray, c’était un nouveau concept, un nouveau pari esthétique: Remettre le texte au premier plan, retourner à l’essentiel, aborder la mort, l’espoir, la mélancolie, … d’une autre manière. Oser « faire du beau »! J’étais là, à me nourrir de ses mots. J’avais l’impression d’être embarquer dans un rêve vivant. Je n’étais pas déprimé, pas malheureux, pas le coeur en mille morceaux non plus. Mais, je remarquais que ma vie se terminait en impasse et ma vie finir en cul-de-sac.
Je devais avoir 23 ans, étudiant paumé et j’étais amoureux. À sens unique, bien sûr. Je vivais au rythme halluciné hallucinant de quelques artistes écorchés, entre la folk d’Elliott Smith et la prose de Bertrand Cantat. J’écrivais des cartes postales et des lettres au passé, toujours au passé, dans le maigre espoir d’entendre le jazz de Miles Davis ou le lyrisme dépressif de Chet Baker … et de le retrouver Lui. J’écrivais toujours au passé, puis je repartais moi aussi la rage au ventre. Il n’était jamais revenu, mais me resta sa (ma) musique.
Quand on est gamin, on dit : « Mon père, il sait tout faire ! »
Passé 10 ans, on dit : « Mon père, il sait presque tout faire. »
Arrivé à 15 ans, on dit : « Mon père, il me casse les couilles. »
À 20 ans, on dit que c’est un con.
À 25 ans, on dit : « Finalement, mon père il était peut-être pas si con que ça. »
Et à 30 ans, on dit : « Putain, si seulement mon père était là… »
Il me restait des souvenirs, et c’était mieux que tout, mieux que la drogue, mieux que l’héro, mieux que la dope. Mieux que l’homme venu de mars, mieux que celui qui se suicida le 3 juillet 1973 sur la scène de l’Hammersmith Odeon à Londres. Mieux que les inédites d’Elliott Smith et que Roméo et Juliette de Saez. C’était mieux que la défonce de James Frey, les crachats de Hubert Selby Junior, la poésie de Keats et la musicalité de Nick Hornby. C’était mieux que tout, mieux que ma fausse-liberté, mieux que mon âme offerte mille fois aux femmes. Et finalement, j’ai (re)trouvé tous mes souvenirs dans les textes de Guillaume Favray.
Melissmell m’avait fait écouter Les Enfants de la crise le 29 mars 2009 à 04h54 du matin. Dans un rituel d’insomniaques, le partage se faisait toujours la nuit ou au petit matin, on rêvait les yeux ouverts le coeur plein d’espoir. C’était beau, j’ai eu la gorge serrée et les yeux humides à la fin du morceau. Je me libérais de plus en plus de mes démons, je mettais tout sur papier avec toujours de la musique comme fond sonore. J’avais du mal pourtant, j’y perdais mon souffle, j’avais la gorge serrée et des sanglots qui montaient.
Quand Guillaume chante Ibrahim, je pleure comme un veau comme Léo Ferré devant Denise Glaser (rappelez-vous, c’était en 1974, et ce passage durant lequel Léo fait l’inventaire de ses poches…). Deux hommes différents enfermés dans un endroit exigu pendant un temps donné. Ibrahim et Guillaume, deux êtres qui ne se ressemblaient pas et pourtant se comprenaient. Un compagnon de route pour l’un, une belle découverte pour l’autre. Un joli partage entre deux personnes que tout oppose, les origines, le milieu social, les goûts, les ambitions, le caractère, etc.
Elle s’appelait Océane, elle avait 15 ans et vivait au Québec. C’était en fin 1999. Tout nous opposait : Le milieu social, les origines, le vécu, les ambitions. Mais il y avait entre nous une musique commune, une douleur partagée et des rêves pleins de poussières. On ne devait jamais se rencontrer, on ne s’est d’ailleurs jamais vu. Mais y a eu ce partage, cette évasion, un chapitre dans ma vie … Elle disait « Au bout de nos coeurs étoilés, la musique nous guidera ». Elle n’était que de passage pourtant, comme une étoile filante… Je le savais, on le savait, ce n’était qu’une question de temps, sauve ta peau Océane, sauve ta peau. Elle a surement rejoint le ciel et brille aujourd’hui à coté du soleil… Et dès que j’écoute Ibrahim, je pense à elle.
Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.
Encore une personne troublante, émouvante, sulfureuse. Elle s’appelait Billie, « La Callas du blues » et demeure l’une des plus grandes divas du jazz que le monde ait connues. Billie, l’hommage d’un artiste à sa Lady Day. De cette chanson, je suis parti dévorer Les Possédés de Dostoïevski. De mon insomniaque folie (ou ma folie d’insomnie, les deux font la paire), je me suis un peu nourri de ce roman ; Stavroguine troublant et envoûtant par son lourd combat.
Il y a encore une autre espèce de larmes qui n’ont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement: on pleure pour avoir la réputation d’être tendre, on pleure pour être plaint, on pleure pour être pleuré; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas.
La Larme, en voilà un texte extraordinaire et qui évoluait dans des contrées qui m’étaient familières. Une mélodie d’une clarté éblouissante, une écriture à la fois simple et très imagée. Il a une magie de mettre des mots justes sur des sensations. Ce n’est pas le chanteur qui me séduit et me fascine, mais plutôt l’humain, sa folie, son phrasé, sa mélancolie, sa tristesse cachée sous un brin d’espoir. Je l’avais vu la première fois en première partie de Saez le 5 mai 2010. Aussi drôle que ça puisse paraitre, j’étais là pour Guillaume, pour elle, pour eux (SaezLive) et Saez finalement m’importait peu. Ce soir là, j’avais aussi laissé quelques larmes, je n’ai pas vécu un seul de ses mots et pourtant je me reconnais dans chacune des paroles de Guillaume. C’était le grand soir où il fallait tourner la page et repartir sur la route. Ses mots m’ont donné alors des frissons et finalement ce 5 mai, j’ai admiré Guillaume Favray. Il y avait cette émotion qui remontait de tout mon corps. Je me suis posé plusieurs questions dont celle là : Guillaume Favray, un être triste ? Je n’en savais rien, je ne le connaissais pas, mais la tristesse m’envahissait et il m’a donné envie de la vivre puisqu’il la rendait si belle quand il la chante.
Je ne suis qu’un déserteur qui ne s’est jamais pris au sérieux, tellement que même quand je lis cette phrase « Demain je prends la route… Je pars la rage au ventre ou se perdre pour se trouver », je finis par me rendre compte que j’ai surement déserté les relations humaines et en quelque sorte ma propre vie. Mais le temps perdu ne se rattrape plus et à défaut d’avoir pu le changer, Guillaume Favray l’a donc chanté.
Écouter de la musique, la sentir fut le seul moyen de se réconcilier avec le monde, avec moi-même. Ah la musique ! Je me retrouve à cœur battant dans La Chanson de la crapule. La musique est le seul moyen que j’ai trouvé pour aller vers les autres. J’avais à peine 13 ans, et elle m’avait frappé puis elle ne m’avait plus quittée. Les démons hantaient mes disques d’un bout à l’autre. « Laissez-là, la musique, laissez-là qu’elle respire », j’aurai pu leur crachait cela. Au final, je ne les retrouvais plus sous mon lit mais entre un XO désespérément joyeux et Transformer de Lou Reed.
Comme un cri chuchoté une indicible douleur, tel Cap Horn, je laissais la folie, je la laissais bouffer l’ennuie. Cap Horn, ce cimetière marin, cette chanson où résonne le bonheur de l’instant. Un vagabond fou sur les mers, qui nous transmis son histoire. On vient dans cette dernière, elle nous accompagne dans la notre, et parfois dans l’inconnu de nous. Guillaume possède ce remède de te faire aimer l’humain, il transforme en sourire mes airs tristes d’autrefois. Je me surprends à reprendre ses paroles, pas pour me faire croire que j’ai une carrière dans la chanson, mais plus pour m’enivrer de beauté, pour me donner de la force.
Le solitaire me sourit, glisse ses mots dans ma main, me donne une tape dans le dos. « A toi maintenant, prends ces quelques phrases, ces jolis mots collés…». Si j’ai tant lu, tant écrit de chroniques sincères, de papiers éphémères, si j’ai osé regarder mes démons droit dans les yeux et les ai envoyé valser contre une musique arrachée à la mort, c’est à des artistes comme Guillaume Favray que je le dois. Ils ont balayé mes peurs, mes incertitudes, m’ont donné la force d’avancer, ce goût pour l’ivresse la folie pour les questions sans réponses. J’ai aussi caché des trésors, des poèmes sacrés, des sentiments non avoués. Je revenais souvent avec le coeur égratigné, je revenais souvent en solitaire, je reprenais l’aventure pour que cessent à jamais toutes ces déchirures. Je leur dois tant de choses, à Guillaume et ses frères de la chanson. Grâce à eux, je me suis retrouvé dans des aventures humaines où il y avait du coeur, des chansons, des blessures, des révoltes, du partage, des rires, …
On peut rêver, rêvasser à ce qu’on aurait pu être, mais c’est foutu, ce n’est pas plus mal peut-être. Une voix apaisante, douce, une voix déchirante et humaine, moi qui savait à peine si j’étais encore en vie, me voilà rattrapant mon retard, et brûlant pour l’écorché au Chant de l’aube. Ça fait sourire mes démons, alors je hurle plus fort « Le mal de vivre, le mal de vivre qu’il faut bien vivre vaille que vivre ». Ils ont rien compris ces bougres, je leur passe un disque de Guillaume. C’est du triste et joyeux, c’est une larme qui jaillit de nulle part, c’est un souffle divin qui te ramène à la vie, c’est une arrachée à la mort, c’est des vérités des amours des désirs, des vertiges des tourbillons qui m’emmèneront ailleurs.
Guillaume me parle de bonheur, de métropolitain, de la mort du rock’n'roll, des brebis, ou des jours de récolte. Il a le rêve dans la peau, la fureur dans ses mots, les yeux enflammés de passion. Il n’a jamais vendu son âme et l’a surement partagé avec ceux qui câlinaient la solitude comme quand on caresse le sein d’une nourisse.
Guillaume Favray, un homme qui aime. Donc, pas tout à fait un homme comme les autres. Chacun, met un peu de Guillaume dans sa tête et dans son coeur, le garde et en fait ce qu’il veut. Comme les cordes d’un violon qui pleurent au contact de l’archer, il éveille en moi trop de sentiments personnels pour qu’il puisse en être autrement. Il est torturé mais je ne le trouve pas sombre. Il chante la vie. Guillaume c’est la passion de l’émotion, il y a même des jours où j’ai sa voix, sa musique, son souffle dans l’oreille. Et je dois dire, putain ça fait du bien !
Et si tu veux connaitre toi aussi ces sentiments là, si tu veux te baigner dans la mélodie de cet astre noir, il suffit de lui envoyer un email à cette adresse guillaume.favray[a]hotmail.fr et de lui commander ses deux magnifiques EP (Miss Kaliocha sorti en 2003 et le 4 titres Guillaume Kaliocha). Vous ne serez pas déçu, parole d’un dépressif anonyme !
Crédit Photo : Florian Laval