Magazine Culture

Mario Vargas Llosa : Tours et détours de la vilaine fille

Par Gangoueus @lareus
Certains romanciers sont des artistes. Ils ont l'art de mettre le bon mot sur une situation que tout le monde connait. Mais la description d'un mal, son décodage, sa mise en scène intelligible, intelligente et nuancée n'est pas l'apanage de n'importe qui. Mario Vargas Llosa fait partie à coup sur de ces géants de la littérature. Les tours et détours de la vilaine fille, premier roman que je lis du romancier péruvien récemment nobelisé, m'ont convaincu de la puissance et de l'efficacité de cet auteur.
Mario Vargas Llosa : Tours et détours de la vilaine fillePour toute personne qui veut analyser, tenter de comprendre la passion amoureuse, l'égocentrisme, le pouvoir du sexe, la violence entre un homme et une femme que tout sépare à savoir la classe sociale et l'ambition, ce bouquin sera une source de réflexion.
Mais de quoi parle-t-on? Ricardo est dans les années 50, un adolescent heureux de Miraflores, un quartier huppé de Lima. Il fait partie d'une bande de jeunes, il est un élève brillant sans faire d'effort particulier et il voue une passion pour les lettres et Paris, héritage d'un père disparu très tôt. Deux jeunes filles vont rejoindre cette bande. Lucy et Lilly. Chiliennes, il parait. Libres, fantasques donc pour ces jeunes péruviens. Elles vont fasciner cette jeunesse guindée, suscitées jalousie et convoitise. Ricardo s'éprend de Lilly qui  le tient à distance raisonnable jusqu'à ce que sa superchérie soit démasquée et qu'avec sa soeur elle soit exclue de ce cercle dont elle a osé forcer les portes.
C'est la même jeune femme que Ricardo retrouve en France, à Paris, alors qu'il vient de terminer ses études universitaires et qu'il vivote ça et là dans la capitale française. A cette époque, il côtoie les milieux gauchistes sud-américains, en particulier péruviens. La fascination qu'exerce Lilly devenue Camarade Arlette se remet en branle. Elle a réussi à quitter le Pérou par le biais d'une bourse devant aider à sa formation pour de futurs maquis révolutionnaires.
Ce n'est que le premier rebondissement d'une série de retrouvailles qui vont enchainer progressivement Ricardo dans les mailles du filet de la vilaine fille sans foi ni loi. Ricardo est un solitaire qui peut se payer le luxe, dans la condition qui est la sienne de jeune bourgeois péruvien, de ne pas avoir une autre ambition que celle de vivre à Paris.
- C'est ce que tu veux faire de ta vie? Rien que cela? Tous ceux qui viennent à Paris aspirent à devenir peintres, écrivains, musiciens, acteurs, metteurs en scène, à faire un doctorat ou la révolution. Et toi tu veux seulement cela, vivre à Paris? Je ne l'ai jamais encaissé, mon vieux, je dois te le dire.- Je sais bien, mais c'est la pure vérité, Paul. Petit, je disais que je voulais être diplomate, mais c'était seulement pour qu'on m'envoie à Paris. C'est ce que je veux : vivre ici. Cela te semble peu?
page 57, édition Gallimard, collection Folio.
Traducteur, puis interprète il rythme sa vie sentimentale au gré des apparitions et réapparitions de la vilaine fille. Il l'aime d'un amour sans borne, qu'il lui manifeste tant en vers (cucuteries pour elle) que par des élans chevaleresques insensés qui le conduisent à la retrouver par delà les mers.  Elle, cherche la sécurité financière de préférence, mais pas seulement. L'aventure, le risque dans sa relation avec les hommes. Elle ne serait se contenter d'être une simple épouse.
Tu ne vivras jamais tranquille avec moi, je t'avertis. Parce que je ne veux pas que tute fatigues de moi et t'habitues à moi. Et même si on se marie pour mettre mes papiers en règle, je ne serai jamais ton épouse. Je veux être toujours ta maîtresse, ta petite chienne, ta pute. Comme cette nuit. Parce qu'ainsi tu seras toujours fou de moi.
Page 317, édition Gallimard, collection Folio.
De Lima à Paris, de Londres à Tokyo, de Paris à Madrid, leur relation prend une tournure géographique qui permet au romancier d'évoquer des lieux différents et des époques aussi très différentes. Paris a la part belle dans cette narration.  
Mario Vargas Llosa : Tours et détours de la vilaine fille

Mario Vargas Llosa

Copyright © 2008 by PEN/Beowulf Sheehan
D'une certaine manière, je pense un peu au film de Woody Allen, Minuit à Paris quand le romancier péruvien parle de cette ville, des années 60 avec l'efferverscence révolutionnaire du quartier latin. On sent la distance très intéressante de Mario Vargas Llosa place entre lui et ce militantisme. Il jette un regard tendre sur les années hippies à la fin des 60 du côté de Londres, période à laquelle Ricardo prend physiquement plus part. Et que dire du Japon, qui semble sous la plume du péruvien n'être que fourberie, technique clinique mais où la passion amoureuse répond à d'autres références plus sournoises. Ô j'interprète. Mais on a tout de même que le choix de ses lieux sont l'occasion pour le romancier pour produire un certain discours sur les moeurs avant de se recentrer sur ces personnages. C'est aussi une réflexion sur l'immigrant, le fait d'avoir un passeport d'un pays sans en faire réellement partie même quand on se sent complètement étranger à sa terre d'origine et que les amarres ont été rompus définitivement.
- Comme tu as bien fait de t'en aller vivre en Europe, mon neveu. Imagine un peu ce que tu serais devenu si tu étais resté ici pour travailler, avec ces pannes, ces bombes et tous ces enlèvements. Et le manque de travail pour les jeunes.- Je n'en suis pas sûr mon oncle. Oui c'est vrai j'ai une profession qui me permet de vivre dans une ville merveilleuse. Mais là-bas j'ai fini par devenir un être sans racines, un fantôme. Je ne serai jamais français, malgré mon passeport qui dit que je le suis. Là-bas je serai toujours un métèque. Et j'ai cessé d'être péruvien, parce que ici je me sens encore plus étranger qu'à Paris.
Page 334, édition Gallimard, collection Folio.
Il est difficile de dire si on s'identifie à ce que vit Ricardo Somocurcio, le bon garçon pris dans la toile de la vilaine fille. La force du grand romancier est d'introduire de la nuance dans tout cela en nous dévoilant par goutte, par petits jets, les ressorts de la personnalité très complexe et délirante de la vilaine fille.
Je ne résiste pas à me demander s'il n'y a pas  dans ce texte un regard hautain du bourgeois portant une analyse compassionnelle de la stratégie de survie d'une compatriote venant des basfonds  les plus pauvres du Pérou. 
La fin de ce roman est remarquable. Je dois dire que j'ai lu ce roman avec beaucoup de plaisir, Mario Vargas Llosa possède le regard d'un aigle sur la complexité des sentiments et et scrute admirablement dans le détail ces relations amoureuses à sens unique dont on ne comprend par toujours les mécanismes.
J'ai complètement sniffé ce bouquin à mettre entre les mains des partisans de la passion amoureuse sans borne.
Bonne lecture!
Mario Vargas Llosa , Tours et détours de la vilaine filleTitre original : Traversuras de la nina malaEdition Gallimard 2006 pour la tradution française d'Albert Bensoussan, colection Folio, 418 pages
Quelques avis sur la blogosphère :Lectrices and the city Blog-LivresJules litDelphine's Books

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gangoueus 8178 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines