«Il y a beaucoup de...
- De quoi ?
- De points de suspension. Vous auriez peut-être dû finir vos phrases, Céline.
- Comment cela, finir mes phrases, monsieur Denoël ?
- Je veux dire... à la place des points... vous auriez pu mettre des mots, combler les trous.
- Vous savez à qui vous parlez ? À un rescapé de l'enfer. Un troufion qui n'aura pas assez de toute une vie pour évacuer le traumatisme de la Grande Guerre : un pas, un obus, un pas, un obus... La terre transformée en écumoire... Le copain décapité au milieu d'une phrase... Partout des corps tronqués... Des cris coupés... Des lèvres qui s'agitent, des tympans qui explosent... Les trois points, carrez-vous bien ça dans votre pauvre cervelle de comptable, c'est pour être lu et compris par des hommes troncs...»
Une bande d'amis soude son destin autour d'un chef-d'oeuvre, Voyage au bout de la nuit, et de son auteur, Louis-Ferdinand Céline, chef de meute envoûtant et tonitruant. Témoins des bons et des mauvais jours, Marcel Aymé, Gen Paul, Robert Le Vigan, Lucette Almanzor, Max Hardelot vont accompagner Céline jusqu'au terme de son ténébreux parcours.
Lorsque NewsBook a proposé un partenariat consacré au roman Céline’s band, d’Alexis Salatko, j’ai bien sûr sauté sur l’occasion…et merci infiniment à eux et aux éditions Robert Laffont de m’avoir exaucée !
Ce livre est un vrai coup de cœur, car il est très réussi sur le plan biographique – Céline est présenté d’une manière à la fois complexe et vivante – et très astucieux sur le plan narratif : le livre est en effet centré sur le personnage d’un jeune homme nerveux et en rupture avec le monde qui se réfugie chez sa marraine dont le mari, Max Hardelot, a fait partie du « Céline’s band ». Ce personnage de Max, haut en couleurs (comme sa femme d’ailleurs) va partager ses souvenirs de Céline avec le jeune homme. Lui et sa femme viennent en effet de perdre leur fils et sont abasourdis de douleur, et l’arrivée du jeune homme va permettre à Max de sortir un peu la tête de l’eau. D’autre part, les angoisses du jeune homme vont entrer en résonance avec celles qui habitent la vie de Céline, d’une manière subtile, jamais didactique, et cela suggère avec finesse que Céline a peut-être bien beaucoup de choses à nous dire…
J’ai vraiment beaucoup apprécié cette astuce narrative, qui rend la biographie de Céline très vivante, très gouailleuse, tout en donnant vie à des personnages profonds et attachants. Max va partager avec le narrateur ses souvenirs d’amitié avec Céline, mais aussi évoquer la période de l’occupation, les rapports difficiles de Céline avec son art et avec les femmes, la misanthropie qui gagnera peu à peu Céline après son exil, la difficulté générale à fréquenter ce personnage compliqué et pas forcément agréable…mais aussi des questions plus délicates comme celles de son antisémitisme qui sont présentées à la fois dans toute leur complexité et dans toute leur honte. On croise également, dans les récits de Max, Marcel Aymé, soutien indéfectible de Céline durant toute sa vie.
Bref, je trouve dans ce petit roman une très bonne introduction, très vivante, très généreuse et pas hagiographique pour un sou, à l’œuvre et au personnage de Céline. Le style est très agréable et travaillé, ce qui ne gâche rien. Un bon livre, donc, à lire tant pour le plaisir que pour s’instruire…