Grande Bouche est sonnée comme un répertoire de classiques coupé décalé. Un personnage fantasque digne d’un hit de Makossa. Les soucis, la vie. Il a laissé tout ça ! Loin derrière. Dans les caniveaux même avec quelques gouttes d’urines en note de tête. Sa chemise est trempée de sueur comme une douleur qui sent la mort. Tout son corps dégouline. Il a bu de la piquette sans vérité. Le genre de gnaule qui esquinte. Un tord-boyau pour ivrogne de première catégorie. Sa casquette noire le protège du soleil. A mourir d’alcool il faut bien se prémunir. Il ne va quand même pas se noircir la peau étant ivre. Le kit mains-libres dans les oreilles, il doit s’écouter un pur classique que nous a livré la rumba congolaise. Des mélodies qui piquent, vous travaillent à vous laisser dans la nostalgie profonde qui muscle ce monde. L’amour et le paradis réunis en quelques accords.
Grande Bouche, profondément atteint, ne veut pas être dérangé dans son extase : « Je t’ai dit que je te rappelle ». Il raccroche, remue sa bouche. Le nez rencogné, un gros pif historique. C’est la grimace qui fait sa toilette. Il chasse les relents de son estomac. Ça sent des kilomètres à la ronde. Le soleil l’emporte, le secoue de l’intérieur basculant dans l’ombre : le cimetière des bouteilles vides. Ses babines sont en pleine bataille. Est-ce le soleil ou l’ivresse qui agace ? Les deux ne font pas bon ménage. Grande Bouche voyage avec sa gestuelle. Les vapeurs du temps.
La lèvre inférieure rejoint la lèvre supérieure par un tacle du vide et un crochet vers la gauche. C’est d’un lob qu’il s’éjecte du monde réel. Un geste d’amour. Il aime sa bouche comme un rêve donné à voir au monde. Grande Bouche œuvre pour la physique du sommeil lourd ! Passionné des vertiges éthyliques. Il s’offre une descente dans l’irréel. En apesanteur. Vulcanisé face aux tensions du monde. Son nez brûlant de sueur est un poids. Un pèse-nerfs de son existence. Il danse avec son nez, se dédouble et se réinvente dans l’espace. Grande Bouche est un poète. Il peut péter avec sa bouche. Raser des territoires. Prolonger l’espérance de vie d’une mouche, débarquer dans un camp militaire et faire fuir le plus gradé des officiers. Plus l’odeur envahit, plus la tension se resserre. Ses pas deviennent lourds. Le manque de coordination l’éparpille. La vue plus trouble que jamais. Souverainement il s’écrase sur l’asphalte.