Sherlhark Holmes
En 1979, Tsui Hark entrait dans le cinéma en signant un film policier en costumes : The Butterfly Murders. En véritable caméléon surdoué du septième art, il est aussi à l’aise dans le polar rocambolesque (Time and Tide) que dans le mélange fantastique et Wu Xia Pian de Zu, Les guerriers de la montagne magique. Avec Detective Dee, il s’attaque à nouveau à une icône de la culture chinoise, après avoir dressé le portrait de Wong Fei Hung dans Il Etait Une Fois En Chine. Les enquêtes policières du juge Ti (Detective Dee) ont fait l’objet de multiples séries de roman initiées par Robert van Gulik, « vulgarisateur occidental » de polars chinois.
Dans son introduction à Trois affaires criminelles résolues par le Juge Ti ; un authentique roman policier chinois du 18e siècle, Robert Van Gulik mentionne les particularités du roman policier Chinois et les différences majeures avec le polar occidental (réunies dans le dossier de presse du film) :
Le criminel est présenté dès le début du roman policier Chinois, qui contient un récit détaillé et minutieux d’une histoire riche en personnages, agrémenté de longues digressions poétiques et philosophiques. Les récits chinois regorgent d’éléments surnaturels et c’est au cœur de séquences onirico-fantastiques qu’est révélée la nature des personnages.
Synopsis : En l’an 690, à Luoyang, ville cosmopolite, l’impératrice Wu Zetian (unique femme à avoir été couronnée Empereur de Chine) n’attend plus que l’achèvement d’un immense stupa bouddhiste (haut de 120 mètres) pour être couronnée… Mais d’affreuses morts par combustions spontanées frappent la cité. L’impératrice Wu s’en remet au seul homme pouvant résoudre le mystère : Le juge Ti (alias Dee Renjie ou Detective Dee), qu’elle avait fait emprisonner pour insolence et insubordination.
Disons-le d’emblée, Detective Dee est un trip fascinant, une fable policière orientale tonique. J’ai été totalement scotché par la maestria de Tsui Hark. Dans cette adaptation d’une oeuvre datant de l’âge d’or du roman policier Chinois, chaque scène semble issue de l’imaginaire d’un sorcier qui serait le pendant oriental de Terry Gilliam. Le soin accordé à la réalisation excelle dans chaque plan qui abonde en poésie et en imagination. Particulièrement, la représentation du marché fantôme et les bas fonds de la cité sont à tomber.
Ce Detective Dee est une leçon de cinéma tant les mouvements d’appareil, utilisation de la profondeur de champ, des effets spéciaux et visuels, gestion de la palette chromatique, direction d’acteur… A l’instar d’un Scorsese, le cinéphile ne pourra reprocher au virtuose Tsui Hark de trop en faire, de trop bien faire, bien aidé par des interprètes impeccables, les chorégraphies de Sammo Hung, la direction artistique de James Choo. Le dispositif mis en place (qui peut paraître lourd sur le papier) dynamise toujours l’intrigue.
Le surnaturel côtoie un travail de reconstitution colossal, une documentation méticuleuse (permettant de présenter des inventions d’époque étonnantes), ce qui permet d’ancrer l’ensemble dans un monde réaliste. Même si l’on manque de repères historiques (c’est mon cas), on n’est pas perdu et ce malgré une exposition un peu bavarde. Les personnages principaux ne sont pas trop nombreux, il sont clairement identifiables [Bei Donglai (Deng Chao) est albinos, Dee (Andy Lau) est facilement identifiable avec sa barbichette, idem pour la régente (Carina Lau) et ses parures...] ainsi le spectateur ne perd jamais le fil. La narration est fluide, les changements de lieux naturels comme un chapitrage.
Il s’agit effectivement une enquête policière d’un genre inédit pour le spectateur occidental, non lecteur de Van Gulick. Mais en fait, nombre d’incursions fantastiques ont une explication rationnelle. Certains spectateurs pourront même regretter qu’à la fin la logique l’emporte sur le merveilleux.
Curieux de découvrir le nouveau tour du magicien Tsui Hark, j’ai été séduit par ce maître de l’illusion et vous invite à découvrir cette œuvre majeure, en salles bien entendu. Detective Dee est un film-somme de l’oeuvre de Tsui Hark à qui l’adaptation sied si bien. Elle vient structurer ses excès et sa générosité et même si le film reste explosif, sa progression est on ne peut plus maîtrisée. Première grosse claque visuelle de 2011.