Sarah aime bien raconter des histoires. Elle en invente souvent, sans trop réfléchir. Ça lui vient comme ça, spontanément, et ce sont des histoires abracadabrantes. Il y a l’histoire de l’oiseau rose, du chien volant, du requin sous-marin ou encore celle du chat maléfique. Elle adore les raconter à son neveu et à sa nièce, quand ils viennent lui rendre visite. Elle adore leur faire peur et ils adorent qu’elle leur fasse peur. Ainsi elle leur raconte les aventures du chat maléfique plus connu sous le nom du chat malé, malé, malé, fique ! ce chat qui était un chat comme les autres et qui, après avoir mangé un champignon maléfique était devenu un chat maléfique dont l’objectif premier était de dévorer le cœur des vieilles personnes et le chat malé, malé, malé, fique ! puisqu’il était gros, bon et poilu parvenait à se faire adopter par d’innocentes vieilles personnes qu’il finissait éventuellement par dévorer, après évidemment il se léchait les poils et les babines. Le suspense était vraiment intenable car parfois Sarah s’arrêtait au beau milieu de l’histoire, alors que le chat malé, malé, malé, fique ! était sur le point de dévorer une grand-mère, et leur posait une question.
Et là, qu’est-ce qui va se passer à votre avis ?
Et les enfants la suppliaient de continuer, ils n’en pouvaient plus d’attendre.
Et c’était là que les choses devenaient merveilleuses car leurs yeux, les yeux des enfants scintillaient, brillaient très fort et Sarah se disait alors qu’il n’y a rien de plus beau au monde, que rien ne peut s’y comparer, que cette perfection dépasse tout, que celui qui a vu une telle chose et qui est parvenu à comprendre ce qu’elle signifie n’a guère plus besoin d’être comme les autres, de prétendre, de paraitre, il a vu une chose d’une force inouïe, il a vu la beauté qui réside dans les yeux des enfants.
Comment peut-on prétendre vivre comme avant, quand on a vu ça ?
Comment ?
Sarah ne comprend pas les adultes, elle ne comprend pas leurs soucis, peut-être qu’ils se prennent trop au sérieux, enfin elle ne sait pas. Tout ce qu’elle sait c’est qu’il suffit de raconter une histoire, l’histoire du chat malé, malé, malé, fique ! à des enfants pour que le monde change, pour qu’il change complètement.
Et elle les invite souvent chez elle pour leur raconter des histoires pour susciter l’étincelle magique dans leurs yeux, pour susciter la beauté, beauté qui nous débarrasse de tout désir inutile, de toute peur.
Et le comble c’est que le chat maléfique n’arrêtait pas de dévorer les vieilles personnes mais comme les enfants en réclamaient toujours plus elle ne pouvait quand même pas s’arrêter en si bon chemin.
Pauvre chat, chat, malé, malé, malé, fique ! condamné à toujours tuer pour perpétuer les étincelles de la beauté.
Sans doute il n’est de plus beau destin que de vivre dans l’imaginaire des enfants.