Magazine Société

"Un roi" de Corinne Desarzens

Publié le 13 juin 2011 par Francisrichard @francisrichard

Il y a des semaines comme cela. Sans le vouloir ma semaine écoulée a pris des couleurs africaines et a été marquée du sceau de l'asile. En effet, après avoir lu le magnifique livre de Douna Loup, Mopaya, consacré à l'histoire véridique d'un requérant d'asile d'origine congolaise qui est parvenu en Suisse et qui s'y est établi, un livre de Corinne Desarzens, édité chez Grasset ici, m'a emmené en Ethiopie pour y rencontrer Un roi.

La narratrice, qui ressemble à l'auteur et qui enseigne le Français à des requérants d'asile, accomplit trois voyages en Ethiopie. Le sort réservé en Suisse à des Erythréens, venus y chercher refuge après bien des vicissitudes, l'a incitée à se rendre dans le pays voisin de l'Erythrée pour mieux comprendre les contrées, d'où ses élèves sont partis, afin d'échapper à une mort probable ou à un sort guère enviable.

Le livre commence d'ailleurs à l'ouest, dans nos contrées. Pour être sûr que les requérants d'asile ne gêneront pas, ils sont mis à l'isolement dans un abri atomique, sous terre, sans lumière du jour et sans contact avec l'extérieur, où ils attendent la sentence qui leur dira de rester ou d'être expulsés vers le pays de l'Union européenne, sur le sol duquel ils ont fait leurs premiers pas, en vertu des accords de Dublin.

Ce traitement provoque l'indignation de la narratrice. Elle reproche aussi le ton employé pour parler de ces réfugiés et la description qu'elle donne de la conseillère fédérale qui dirige le Département fédéral de Justice et Police du pays, facilement reconnaissable aux traits lancés contre elle, est à mettre au compte d'une réaction émotionnelle incontrôlée, si elle est compréhensible :

"Madame la conseillère a une tête de grenouille, des yeux globuleux, des paupières lourdes, une prunelle qui rêve, en apnée, dessous, et des lèvres qui ne dévoilent jamais les dents. Même quand la photo est nette, on a l'impression de voir la ministre à travers un sac en plastique."

Le durcissement des règles de l'asile provoque l'ire de l'enseignante. Il n'est pas besoin d'approuver cette colère pour désapprouver les mauvais traitements infligés à ceux qui requièrent l'asile. Il n'empêche que faciliter l'asile n'est pas non plus une solution. En attendant que les pays d'origine de ces requérants deviennent des pays de libertés, faute de pouvoir accueillir toute la misère du monde, il faut bien gérer une situation délicate. Encore faudrait-il le faire avec humanité...

La narratrice accomplit donc trois voyages en Ethiopie, ce qui lui permet d'égratigner au passage ses compagnons du premier voyage au nord du pays, qui font du tourisme ordinaire et qui, après avoir "fait" d'autres pays du monde, "font" l'Ethiopie, attentifs davantage aux paysages qu'aux hommes qui les peuplent et qui tout aussi bien pourraient ne pas exister, ce qui serait évidemment plus commode.

La narratrice s'intéressent surtout aux hommes. C'est même pourquoi elle est venue. Comme elle est loin d'être de marbre, elle va tomber amoureuse et aimer un homme de là-bas, plus jeune qu'elle - elle a cinquante sept ans, lui en a vingt sept - qui a le comportement, l'allure et la démarche d'un roi, et lui est apparu un beau jour de novembre. Les deux derniers voyages se feront avec lui dans les deux autres directions du pays, au sud et à l'est, jusqu'alors inexplorés par elle.

Cet amour illumine le récit. Commencé sur un ton indigné, il se poursuit sur celui de la passion digne d'une femme et d'un homme. L'endroit où ils se rencontrent en est tout transformé. Il devient un univers parce que la femme qui s'y meut fait la connaissance d'un de ses habitants qui l'émeut. Leur différence d'âge n'a pas d'importance. Ils la savent bien cette différence mais ils se situent bien au-delà d'elle :

"Il y a un âge où une femme doit être belle pour être aimée, ensuite vient le temps où elle doit être aimée pour être belle."

La narratrice est femme de lettres. Sur l'endroit elle a lu Arthur Rimbaud, Michel Leiris, Evelyn Waugh, Joseph Kessel, Henry de Monfreid, puis Jean-Claude Guillebaud et Raymond Depardon. Mais elle a ses mots à elle pour dire ce qu'elle voit, ce qu'elle ressent, ce qu'elle vit et qu'elle ne pourra jamais oublier tout en s'obligeant à le faire. Le lecteur sent qu'elle n'a pu que faire le déplacement et y vivre pour s'exprimer ainsi.

Si l'indignation de l'auteur-narratrice n'est pas complètement convaincante, parce qu'elle manque de nuances, elle se manifeste avec tellement de fougue et de bonheur de style qu'on finit par la partager en partie. Comme ne pas s'indigner avec elle des critères subjectifs retenus pour décider du rejet d'une requête :

"L'humeur du fonctionnaire, sa vie personnelle, son enfance, son envie de plaire ou de mordre."

Francis Richard


Retour à La Une de Logo Paperblog