Le serpent de bible chanté par Julie Piétri peut bien agacer Chloé Ponce Voiron, il lui a sifflé de belles idées qu'elle met en scène et interprète avec 5 autres comédiennes au théâtre des Déchargeurs depuis le 24 mai.
C'est enlevé, drôle et grave à la fois, pas misanthrope mais furieusement féministe (c'est moi qui le dis) et on peut prédire qu'un bouche-à-oreille très positif va vite faire salle comble.
On entre dans une salle fraîche et parfumée, résonnant de chants d'oiseaux. On se croirait au paradis. L'Éden n'existe pas sur terre, en tout cas pas pour les femmes qui en subissent des vertes et des pas mures depuis la nuit des temps.
Chloé Ponce Voiron passe en revue les petits et gros soucis depuis la grossesse et l'accouchement en passant par l'inceste, l'excision, le viol et la prostitution. Elle ajoute pour le même prix la pression médiatique et la chirurgie esthétique Elle nous épargnerait presque la corvée des tâches ménagères, qui est expédiée comme une lettre à la poste avec une p'tite allusion au produit A ... sur tonalité de jingle publicitaire, prétexte à railler que les publicitaires devraient s'abstenir de jouer les féministes parce qu'ils deviennent vite encore plus fachos.
L'entretien de la maison est bien le seul domaine où la femme a réussi à partager les frais avec l'homme parce qu'au final on ressort du spectacle en se disant qu'on a bien de la chance d'être passé(e) au travers des calamités qui y sont pointées. Récapitulé comme çà je prends le risque de ne pas vous donner envie d'y courir. Et pourtant on passe d'excellents moments parce que Chloé a l'art de faire rire avec des sujets aussi graves. Parce que les comédiennes passent d'un registre à l'autre avec souplesse. Parce que ce n'est jamais lourd, jamais gras, jamais vulgaire. Parce que c'est du théâtre dopé avec l'énergie du cabaret.
Et puis c'est vrai. C'est juste. Le texte est manifestement écrit à partir de témoignages et si on peut soupçonner l'auteur d'avoir remanier les confidences c'est pour les atténuer, la réalité dépassant sûrement cette fiction. C'est féministe, évidemment, mais sans culpabiliser les hommes qui visiblement appréciaient ce soir d'en apprendre un peu plus sur le fonctionnement d'une société qui les a placés sur un piédestal et qui leur laisse croire que tout leur est permis. Et avec la bénédiction de leurs mères en plus !
Celui qui est monté sur scène n'a pas été traumatisé le moins du monde.
Certains (hommes politiques par exemple, mais ils ne sont pas les seuls) n'auraient peut-être pas commis les abus qui leur sont reprochés s'ils avaient un peu réfléchi avant. Certaines (mamans de petites filles) ne cautionneraient peut-être plus les crimes qui sont autorisés dans certains pays européens. Il semblerait que la société ferme les yeux tant qu'une pratique scandaleuse n'est pas dénoncée contre un ministre ou un candidat à la présidentielle. Le "droit" de cuissage va être aboli. Parfait !
Faudra-t-il attendre qu'une fille de ministre en exercice porte plainte contre sa mère pour excision pour que ce sujet-là aussi fasse débat ? Naops et Corisande productions abordent la question sans tabou, sans juger, sans donner de leçon, que du frisson. Bravo !
Nous sommes toutes les filles d'Ève et portons malgré nous, cet héritage du péché originel, de l'éternelle minorité, du sexe faible. Avec humour ou rage, mais toujours avec sincérité, ce spectacle explore le monde des femmes, et montre différents portraits et moments de vie de femmes, extraordinaires ou délicieusement ordinaires...
Eves de Chloé Ponce Voiron
Mise en scène Chloé Ponce Voiron et Cécile Arthus
Avec Anaïs Harte, Barbara Lamballais, Lauréline Lejeune, Chloé Ponce Voiron, Pamela Ravassard et Karina Testa ; lumières Denis Koransky.
Théâtre Les Déchargeurs, du mardi au samedi à 20h, jusqu’au 2 juillet.
Réservations 08 92 70 12 28