Ce que je vois, aujourd’hui, sur les écrans de nos chaines tunisiennes de télévision, aussi bien nationales que privées me rassure quant au caractère irréversible de cet acquis fondamental qu’est la liberté de la presse et que le feu sacré de notre révolution populaire vient de nous livrer sur un plateau. L’ampleur de notre révolution « sans chef » a surpris agréablement les plus optimistes parmi nous et je constate que tous les anciens collègues et les nouveaux, parmi nos journalistes d’opinion s’en donnent à cœur joie, jour et nuit.
Mais je ne peux m’empêcher, en les écoutant, de me remémorer ce que nous les anciens, dont les images de certains parmi nous, me renvoient, comme dans un miroir, mes soixante huit ans, avions vécu durant les premières semaines d’un certain Novembre 87. Et ce, au moment où tout le pays se laissait embarquer, dans un optimisme crédule et peut-être obligé, dans le fourgon bien maquillé d’un « putsch parfait » commis par un général, passé maître en renseignement et qui s’est révélé, moins d’une année plus tard, un spécialiste du « silencieux ».
Aux jeunes qui n’ont vécu que sous le régime mafieux de Ben Ali et ne connaissent Bourguiba que par vidéos interposées sur Facebook et sur des sites internet souvent censurés. Aux anciens qui comme moi font partie de la génération formés dans les écoles de la Tunisie indépendante et qui ont permis à notre économie d’émerger durant les vingt trois dernières années, malgré le racket systématisé, élevé au niveau de mode de gouvernement dont elle a été l’objet. A tous, je voudrais dire combien je suis heureux de vivre avec beaucoup d’optimisme radical, ces moments exceptionnellement beaux « de liberté incertaine ».
Car quelle qu’en soit l’expression, la liberté est par nature incertaine, parce que le jour ou elle se transforme en certitude, elle cesse d’être vraie. Une liberté dont le support n’est pas le doute ne s’exprime plus en termes de choix mais d’obligation Auquel cas, les voies qu’elles nous dictent de prendre ne seront autres que les autoroutes de la pensée unique.
Comme on le sait, Le risque suprême, comme en matière d’économie, c’est de ne pas prendre de risques du tout. Et prendre des risques ce n’est pas non plus faire preuve de témérité mais d’audace et d’assurance, sur fond de « raisonnabilité », qui est la qualité de ceux qui sont capables d’être « raisonnables ». C’est à dire ceux qui ont le sens du compromis créateur qui est le fond de toute composition.
Une révolution authentique comme la nôtre si elle ne prend pas la forme d’expression culturelle profonde, en devenant œuvre de composition pourrait se muer en « contrerévolution » par les agissements « réactionnels » (et donc réactionnaires) des « jusqu’au boutistes ».
Comme le dit Marx « seule l’objectivité est révolutionnaire » et lorsque l’on fait l’effort d’être objectif l’on se rend compte qu’on ne peut l’être qu’en reconnaissant ses limites et par voix de conséquences celles des autres. Et l’on pourra dire à la suite de Marx et avec Bourguiba que « seul le compromis est révolutionnaire »
naceur ben cheikh