Matthieu Ricard: "Des personnes très rationnelles reconsidèrent la méditation"
L'intérêt qu'on porte à cette discipline tient à l'engouement actuel pour les philosophies orientales, mais aussi aux travaux scientifiques récents, qui en montrent les bienfaits sur notre équilibre et notre santé. Le point avec Matthieu Ricard, moine bouddhiste, photographe, écrivain et ardent méditant.
Peut-on aujourd'hui assurer que la pratique de la méditation a des effets sur le cerveau?
La psychologie appliquée et les études cliniques ont montré de façon très précise que l'exercice de la méditation entraîne des effets bénéfiques, à court mais aussi à long terme, sur nos fonctions neuronales et, par voie de conséquence, sur notre santé. Ces recherches récentes ont concouru à donner à la méditation ses "lettres de noblesse" en Occident. Grâce à elles, des personnes très rationnelles, qui ne s'y seraient jamais intéressées, commencent à la considérer comme un élément précieux pour notre équilibre, tout comme on admet désormais les bienfaits de l'exercice physique sur la santé et la longévité.
Concrètement, quels bienfaits ont été prouvés scientifiquement?
Les expériences ont montré que vingt minutes de pratique journalière contribuent significativement à la réduction de l'anxiété, du stress, de la tendance à la colère (dont les effets néfastes sur la santé sont bien établis) et des risques de rechute en cas de dépression grave. Huit semaines de méditation, à raison de trente minutes par jour, s'accompagnent d'un renforcement notable du système immunitaire et des facultés d'attention, ainsi que d'une diminution de la tension artérielle chez les sujets hypertendus ou encore d'une accélération de la guérison de certaines maladies de peau, comme le psoriasis.
A quel rythme doit-on pratiquer pour obtenir de tels bénéfices?
Ces résultats vont de pair avec une pratique régulière. Il n'est pas nécessaire de méditer pendant très longtemps mais il faut le faire quasi quotidiennement. Si le cerveau est sollicité chaque jour, un mois environ suffit pour voir apparaître une réelle modification des fonctions neuronales. L'influence des états mentaux sur la santé, autrefois considérée comme fantaisiste, est de plus en plus considérée comme un élément clef de la recherche scientifique. Sans vouloir faire de sensationnalisme, il importe de souligner à quel point la méditation et l'"entraînement de l'esprit" peuvent changer une vie.
Pourquoi est-il si important d'améliorer notre esprit?
Parce que c'est lui qui fait l'expérience du monde et le traduit sous forme de bien-être ou de souffrance. Si nous transformons notre façon de percevoir les choses, nous transformons la qualité de notre vie. Et ce changement résulte de cet entraînement particulier de l'esprit que l'on appelle méditation. Nous trouvons normal de passer des années à apprendre à marcher, à lire, à écrire et à suivre une formation professionnelle. Nous passons des heures à nous exercer physiquement pour être en forme. Par quel mystère l'esprit échapperait-il à cette logique et pourrait-il se transformer sans le moindre effort? Chacun d'entre nous dispose du potentiel nécessaire pour s'affranchir des états mentaux qui entretiennent nos souffrances et celles des autres, pour trouver la paix intérieure et pour contribuer au bien d'autrui. Certes, il ne suffit pas de le souhaiter. Il faut s'entraîner pour cela.
Quelles sont les applications possibles de ces recherches?
Les techniques de méditation pourraient très facilement être intégrées au programme d'éducation des enfants -une sorte d'équivalent mental du cours d'éducation physique- ainsi que dans la prise en charge thérapeutique des problèmes émotionnels des adultes. Les découvertes récentes ont changé notre perception de l'évolution du cerveau au cours de la vie. Les domaines des neurosciences et de la neurosplasticité se développent. Parallèlement, les techniques d'IRM de plus en plus puissantes, d'électroencéphalogramme de plus en plus sophistiquées, conjugués à la participation de pratiquants expérimentés de la méditation, nous emmènent vers un âge d'or des "neurosciences contemplatives". Il y a beaucoup à découvrir encore.
Source : L'Express