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"Droite sociale" : une contradiction dans les termes

Publié le 12 juin 2011 par Pscauxcailly

Vu dans Le Monde.fr


Victor Hugo, reviens, ils sont devenus fous ! Ils ont oublié que la misère n'est pas une fatalité ni un signe irréfutable d'infériorité personnelle. Ils ne savent plus qu'il n'y a que des misérables devenus tels du fait de l'injustice sociale ! Une droite "sociale" est-elle possible ? Ironiquement peut-être. Dans une démagogie dangereuse sans doute. Hors fiction, non : quand la droite ose sa politique, elle n'est nullement sociale. Voyez la politique de notre gouvernement, mise à nu par Jean-François Copé, qui prend le relais du ballon d'essai de Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes. "Droite sociale" est une contradiction dans les termes. Et "gauche sociale" devrait être un pléonasme.

Mais, hélas !, il arrive que des mimétismes ou des renoncements brouillent ce pléonasme. A ceci près qu'une gauche antisociale n'est plus de gauche. Certains la diront "réaliste" pour déguiser une trahison en vertu. Ils abuseront en cela des mots, confondant la connaissance lucide du réel et la soumission aux dominations qui s'y imposent. Quant à la droite de MM. Copé et Wauquiez, ainsi que de la présidente du Medef, Laurence Parisot, de François Fillon et du président de la République, voyons ce qu'elle a de "social" à part le discours démagogue prodigué à intervalles réguliers pour faire illusion.

C'est une philosophie de l'homme bien peu sociale que celle qui impute au pauvre sa pauvreté, au chômeur son chômage, à l'étranger une usurpation tendancielle des droits sociaux "nationaux". Etrange défiance à l'égard des plus démunis que ce détestable soupçon qui les imagine complices de leur déshérence, voire contents de ne pas travailler ! Au travail, donc, sinon adieu au revenu de solidarité active (RSA) ! Quelle vision de la nature humaine ! Quel honteux flicage de celui qui oscille entre le désespoir et l'angoisse de se sentir exclu ! Double peine, donc ! La détresse sociale, plus la mise à l'index !

En fait, ces propositions expriment la logique d'ensemble d'une politique dont le gouvernement est responsable. L'idéologie dite libérale d'un capitalisme décomplexé avait conduit naguère Mme Parisot à affirmer : "L'amour et la santé sont précaires : pourquoi le travail échapperait-il à la loi ?" La précarité érigée en règle ! Le rêve pour les profiteurs, le désespoir pour les exploités. Tel est bien le capitalisme décomplexé, rendu à ses esprits animaux ! Dérégulation du travail, privatisation des services publics, largesses au capitalisme sous prétexte d'encourager l'initiative, disqualification des droits sociaux présentés comme un assistanat, etc. Voilà la droite. Sociale ?

C'est une psychologie indigne qui s'invente des précaires paresseux et qu'il faudrait mettre au travail de peur qu'ils ne s'installent dans la joie de vivre avec 1 000 euros par mois pour les mieux lotis, et 466 euros pour la plupart ! Qui peut vivre avec une telle somme ? Quel travail veut-on donc donner aux exclus ? Des tâches d'utilité publique ? Mais alors pourquoi ne pas créer les emplois, puisqu'une telle utilité est reconnue ?

A moins de considérer ces travaux sur le mode humiliant du caritatif. On "donne" du travail, et ce travail, saupoudré en heures de rédemption des supposés oisifs, ne saurait avoir la dignité d'un véritable métier. Les droits sociaux tenus pour un assistanat ! Quel vocabulaire humiliant ! Oublie-t-on que ces droits n'ont rien de providentiel et furent conquis dans le sang et les larmes contre un capitalisme qui s'accommodait d'une semaine hebdomadaire de travail de 72 heures et envoyait les enfants travailler dans les mines ?

Ne parlons pas d'Etat-providence, mais d'Etat social de droit. Les travailleurs n'ont pas à recevoir des cadeaux et des primes, des récompenses ou des sanctions. Dernier gadget caritatif, la prime spectaculaire "offerte" à tous ! Quel rideau de fumée ! Mais les travailleurs qui perdent leur santé dans le stress de la rentabilité ne sont pas dupes. Ils ne demandent aucune "assistance" : ils entendent exercer leurs droits. Ils ont inventé la Sécurité sociale non par peur du risque mais par la noble volonté de faire que la santé, bien du corps, ne dépende plus des conditions de fortune ou d'infortune. Parler de manne providentielle et d'assistanat, c'est mentir sur la généalogie des droits sociaux.

Et, d'ailleurs, qui assiste qui ? Qui assume le coût social des dépressions nerveuses liées aux licenciements faits pour accroître les taux de profit ? Qui assume le coût écologique d'usines construites sans égard pour l'environnement ? Et qui a sauvé les banques d'une faillite induite par l'ivresse des plus-values financières ? L'Etat, trop pauvre pour financer les services publics, et notamment les hôpitaux de proximité, s'est trouvé assez riche pour permettre l'impunité des spéculateurs en engageant des fonds publics au service d'intérêts privés. Et ce à rebours de la thèse centrale des libéraux qui refusent par principe toute intervention de la puissance publique dans l'économie.

Quant aux étrangers venus travailler pour la France, ils doivent jouir sans délai du droit du travail. Toute honte bue, cette droite a osé inventer un ministère de l'immigration et de l'identité nationale, libellé abject qui permet de pêcher des voix en eau trouble.

Une droite qui offre à la vindicte publique les jeunes des banlieues, les Roms, les "musulmans", les chômeurs ou les étrangers, montre qu'elle ne gouverne pas autrement qu'en suscitant la peur. Du bouclier fiscal à la réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune, de la destruction des services publics à la défiscalisation des investissements pour l'école privée, d'une politique sécuritaire ostentatoire mais sans effet à la désignation d'un bouc émissaire, cette droite n'a cessé d'être antisociale.

Face à cette droite décomplexée, humiliante pour les plus démunis, trop sûre d'incarner le sens de l'histoire, il est temps qu'advienne une gauche décomplexée, fidèle à ses valeurs, et disposée enfin à faire la politique qui leur correspond. Une gauche fière d'être la gauche. Les bien-pensants de l'idéologie dominante vont hurler à la ringardise, agiter le chiffon rouge du totalitarisme stalinien. Qu'importe. Ils ne savent argumenter que par l'amalgame et la peur. Osons la bataille des idées et ne nous laissons pas intimider par les thuriféraires d'un monde sans avenir, car il consacre la défaite de l'humain.

Henry Pena-Ruiz, philosophe, écrivain

Article paru dans l'édition du 11.06.11


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