Bombay dans les récits de voyage de la fin du XIX° siècle (2/4)

Publié le 12 juin 2011 par Olivia1972

L’ambiance de la ville

Le Comte de Gabriac nous décrit l’arrivée dans le port de Bombay et sa turbulente ambiance : « Aussitôt nous fûmes accostes par une foule de petites barques montées par des nègres, des Européens, des Malais, des Chinois ou des Parsis, mais aucune ne renfermait d'Indous, leur religion leur défendant de s'aventurer sur la mer. Après la visite de la santé et de la police, le pont fut envahi par la foule bariolée dont je viens de parler, composée en grande partie de portefaix médaillés qui se chargèrent de transporter nos bagages à domicile, sans que nous eussions à nous en occuper. Ce service se fait aux Indes plus régulièrement et avec plus de facilité qu'à Londres ».

Nos voyageurs sont étonnés par le caractère bouillonnant de la ville ce que l’un deux résume joliment : « L'aspect de cet Orient condensé, bourdonnant, agité, si neuf pour qui a vu l'Orient si calme partout ailleurs, a quelque chose de quasi fantastique et de surprenant ».

Ces voyageurs français ne se déplacent pas sans plusieurs lettres de recommandations et sont presque toujours invités par les Européens de Bombay. Un officier en congés note à propos du Byculla Club : « Arrivons enfin. Splendide Byculla-Club au milieu de jolis jardins; — ses immenses dimensions; — son intelligente disposition. Des courants d'air traversent le club en tous sens, de sorte que pas un souffle d'air n'est perdu pour les membres à l'intérieur ; de vastes vérandas sont couvertes de petites tables luxueusement servies. Dîner remarquable avec pamphrets (poissons renommés du pays) et le meilleur claret que j'aie bu aux Indes. Pendant que les pankas nous éventent du plafond, un coolie, avec un vaste éventail à pied dans la main, balance son instrument et nous envoie de l'air par côté, tout le temps du dîner ».

Le Comte de Gabriac fréquentera également ce Byculla-Club : « Cet établissement, fondé et soutenu par une Compagnie anglaise, est dirigé par des Parsis et servi par des Indous. Les chambres sont de simples alcôves, placées dans une même salle, et les cloisons qui les séparent n'ont que 3 mètres de hauteur, de sorte que le plafond est commun pour tous. Le but de cet arrangement est de donner le plus d'air et de fraîcheur possible, mais il est fort incommode en ce que l'on n'est jamais chez soi. On entend tout ce que dit le voisin, et en revanche, on ne peut pas se quereller à son aise dans son intérieur ! Pour terminer ce qui a traita Bayculla-Hôtel, je dois lui rendre cette justice que l'on n'y est guère dérangé par les serpents, et que, sous ce rapport, l'on peut y dormir en toute sécurité. On prétend, en effet, que ces animaux, très nombreux aux environs de Bombay, s'introduisent souvent jusque dans les maisons. Un voyageur m'avait raconté, aussi qu'en arrivant dans cette ville, la première chose qu'il avait vue était un serpent, qu'il en avait trouvé un autre dans son bain, et le troisième dans son lit ».

Bien entendu nos voyageurs commentent et décrivent la population : « La race de ce pays est celle qui m'a la première et peut-être le plus frappé dans toute l'Inde. Les hommes maigres et chétifs, quoique assez grands, sont ce qu'ils sont dans toute l'Inde : la tête couverte de turbans extrêmement variés et souvent très travaillés, véritables merveilles de soin, de patience et de finesse. Les jambes des Indous aisés sont couvertes du pantalon étroit tire- bouchonné et ils portent la grande, éternelle et laide capote indoue qui place la taille directement sous les bras. Mais comment, en débarquant, ne rien dire des femmes de ce pays ? Leur petit costume dégagé à l'excès leur laisse les jambes libres et nues jusqu'à mi-cuisse ; le bassin est étroitement serré dans un pagne qui, passant ensuite en écharpe le long du corps à moitié nu, va se terminer sur la tête, à la chevelure plaquée et au petit chignon anglais, laquelle supporte très souvent un fardeau très lourd et volumineux ; le cou et les reins nus sont alors tendus sous le poids comme un ressort d'acier. Ces femmes tiennent leurs grands yeux toujours baissés, surtout pour les étrangers qui semblent ne pas exister pour elles. Les épaules et les seins sont comme cousus dans un court corsage dont la teinte foncée se marie avec la couleur bronzée de leur peau. L'impassibilité de leur visage est telle que les pieds, tout en rasant précipitamment la terre, et surtout les bras, en se balançant, semblent seuls accuser le mouvement ; le reste de leur personne se transporte immobile comme un bronze ».

A propos des femmes, le Comte de Gabriac note : « Mais ce qu'il y a de singulier notre point de vue) dans leur costume, c'est que leur petit corsage ne couvre que la partie supérieure du corps et laisse à nu le dessous des seins et la plus grande partie du ventre. Si cette mode nous paraît bizarre, en revanche elle permet de voir des formes arrondies et charmantes. Ces femmes sont toujours surchargées de larges anneaux de cuivre ou d'or, qu'elles portent aux bras, aux oreilles et au nez. Elles ont toutes de magnifiques yeux noirs et de luxuriantes chevelures d'ébène ; malheureusement la bouche, trop fendue, détruit l'harmonie de l'ovale ».

Jacques Siegfried[1] décrit la manière dont les Indiens sont habillés : « Le premier coup d'oeil est infailliblement absorbé par l'énorme turban qui les garantit du soleil et dont la forme, la couleur et l'ampleur varient selon la caste et l'emploi du sujet. Du turban, le regard descend au front tatoué de dessins rouges, jaunes ou blancs, selon la divinité sous la protection de laquelle chacun s'est mis plus  spécialement ; puis aux oreilles indéfiniment allongées et déformées par de riches et lourds bijoux. Enfin une tunique blanche, serrée par une grosse ceinture, descend jusqu'à leurs genoux par-dessus une espèce de jupe-pantalon d'où sortent leurs pieds nus chaussés de babouches pointues. J'aurais ri volontiers de quelques détails, et cependant, à tout prendre, je trouvais en eux une certaine dignité qui me plaisait et qui semble inhérente aux Orientaux. Je dois ajouter que j'avais devant moi des hommes des classes les plus élevées et que ma description ne saurait s'appliquer aux Hindous en général ».

A SUIVRE



[1] In “ Seize mois autour du monde, 1867-1869, et particulièrement aux Indes, en Chine et au Japon ». Par Jacques Siegfried. Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, G-29146