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François TEYSSANDIER (France).

Par Ananda

DANS LA MATRICE DU MONDE.

 

 

 

Ton corps lesté par tous les songes de la nuit

Devient chaque jour matière

Plus inerte et pesante

Même si le coeur s'éprend d'espace

A chaque aube nouvelle

 

Ton souffle semble rétrécir

L'essor de la lumière sur ton visage

Dès que tu prononces un mot

Qui n'est plus familier à ta langue

 

Toujours cette chute à l'aplomb du vide

Qui s'accélère dans ta tête

Le poids de l'air démembre ton corps

Soumis à l'oubli du temps

 

Tu éprouves ce vertige incessant de l'oeil

Déjà ébloui par toutes les couleurs

Que répandront les saisons futures

Dans la nue déserte et sur la page blanche

 

Ton corps gravit l'ombre

Qui fuse d'entre les rochers

Et se réduit à la grosseur d'une pierre

Que des mains lancent vers le soleil

 

Tes os sont si fragiles

Et si friables que tu as peur

Qu'ils se brisent comme du verre

A chaque pas à chaque souffle

 

Tu sais que la mort volage

N'est déjà plus qu'un squelette

Qui s'émiette entre tes doigts

Tu cherches dès le seuil franchi

Un lieu d'exil qui soit plus humain

Que ce désert de sable et de mots

Un ailleurs qui soit étranger à ton pas

Et qui devienne dans ta chair

L'âme de tous les feux à naître

 

Et toujours cette chute à l'abîme

Qui s'ouvre sous tes pieds nus

Et qui t'allège de ton poids

Jusqu'à ce que ce vide

Qui se creuse à l'intérieur de toi

Prenne la forme de ton corps

 

Corps que tu voudrais double au miroir

Mais qui reste unique dans ton regard

Depuis ta mise au monde

Par une nuit de lune noire

 

Le corps rebelle à la souffrance

T'obsède bien plus que l'âme

Mortel enfin dans ta chair

Cette chair nue à vif que racle

Une autre chair jusqu'à l'os

 

Voilà qu'elle s'ouvre comme une blessure

Profonde au coeur de l'éclair

Qui te foudroie pour que gicle de tes cris

L'inexorable sarabande du sang

 

Brèves étreintes sans passion

Dans la moiteur des nuits

Privées de songes et de désirs

Tu lacérerais de tes ongles ton visage

S'il n'était le tien

 

Mais tu préfères rudoyer ce corps déjeté

Qui n'a plus apparence humaine

Même les miroirs refusent ton visage

Trop retors et sournois pour eux

 

Combien l'âme est étroite

Et ladre en amour

La douleur des os dessèche le coeur

Coeur déjà rongé par les vers

Vers en liesse qui s'empiffrent au festin de la mort

 

Sois cruel et féroce avec toi-même

Que personne ne t'accompagne

Dans ta chute à l'abîme

Tu veux être seul pour franchir le gué

Qui t'escorte vers des terres plus lointaines

Mais la vie finit toujours dans un trou sans fond

Dans un trou qui n'a pas de nom

Et qui n'appartient plus à ce lieu pareillement obscur

 

Déserte le labyrinthe du langage

Les mots qui se détachent de ta langue

Ne sont que lambeaux de chair morte

 

Assez de ce tintamarre de phrases absurdes

Qui ricochent sur les parois du crâne

Tu ne peux combattre avec tes mots

Cette dérisoire mascarade de l'esprit

 

Ton visage est trop lisse sans vie

Il manque d'angles et d'aspérités

Il faudrait dis-tu que les êtres

Soient tout en arêtes et saillies

Tu ne veux écouter que les voix qui griffent

Les visages multiples de l'ombre

Et rongent patiemment la pierre de l'oubli

 

Abjure chaque jour cette rouerie verbale

Qui est froide et coupante

Comme la lame d'un couteau

La douleur écartèle tes membres

Ton ventre n'héberge qu'un cadavre

Qui tombe en poussière dans la matrice du monde

 

Muré en toi comme dans un tombeau

Tu n'es qu'un bloc de ténèbres

Qui scelle l'éclat du songe

Au rire cruel de la mort

 

Pas un rai de lumière ne traverse l'oeil

Ne se referme sur ton visage

Tu rejettes ce corps difforme

Qui se recroqueville en toi

Jusqu'à ne plus être qu'un invisible

Gisant de pierre dans ta poitrine

 

Aimer aimer à la folie

Mordre goulûment la chair de l'autre

La triturer entre ses dents comme un fruit mûr

Mais toute chair étrangère paraît

Encore trop fade sur ta langue

Tu préfères te nourrir de ta propre chair

Aimer jusqu'au sang

Aimer jusqu'à l'os

 

Le sang est l'origine de l'homme

Il est aussi sa mémoire future

Née au coeur du silex et de l'argile

Qui brûlera ta chair comme le feu

Qui couve sous la cendre

 

Un caillot obstrue soudain ta bouche

Bouche qui n'est plus sonore

Privée de mots

Enfonce-toi dans cet oeil qui s'ouvre

Et se referme dans les ténèbres

Pour un long voyage parmi les songes à venir

 

Corps dépecé par l'amour

Réduit à l'épure d'une pensée

Qui n'est plus charnelle

Douleur de n'être qu'un foetus de l'esprit

 

Tu tombes dans ce trou sans fond

L'ongle de la mort racle les parois de la matrice

Bouche grande ouverte

Tu avales tous ces cris humains

Qui n'ont en partage que charniers

Et ruines de notre monde

 

Respire coeur félon respire

Et cogne dans ta poitrine

Chair flétrie dès avant la naissance

Tu ne seras plus demain ici-bas

Hors de la matière et du temps

Qu'un tas de cendres grises

Sur la langue roide des morts

 

Jour de douleur dans ta chair

Cette brève percée de l'ombre

Dans la mémoire des siècles

Arrache cet oeil qui te regarde dans la nuit

Sois aveugle et parjure

Que ton pas ignore tous ces chemins

Qui ne sont plus à hauteur d'homme

 

La vie s'amenuise et rétrécit ta marche

D'un bond tu as traversé ce lieu

Que tes mots ne peuvent plus nommer

Pour rejoindre des fleuves inconnus

Des mondes nouveaux

Obscurs et indéchiffrables

 

Un autre souffle hante déjà ton souffle

Tes lèvres sont cousues d'épines

Tu saignes et répands ton sang

Sur le froid linceul des jours

 

Chair rompue passion sacrilège

Il te faudra combattre la mort

D'une rive à l'autre sans relâche

Bien que tu n'aies plus ni armes ni feu

Pour tailler à vif dans sa chair

Jusqu'à ce qu'elle te fende

En deux par le travers

 

Qui t'a fait sortir par cette fente

Qui s'ouvre à ton flanc

Et se referme au flanc des pierres

Qui t'a jeté sans pitié dans le chaos

Et la noire folie des hommes

 

C'est ta bouche d'ombre qui parle

Par la bouche des vivants

Tu défies brasiers et temples de l'esprit

Toujours observant toujours observé

L'oeil est un judas

 

A poitrine osseuse maigre passion

Brandis ton poing vers le soleil

Et brise les miroirs mensongers

Te voilà à présent livré tout entier

Aux flèches de la souffrance

Harcelé de tous côtés faudra-t-il que tu avances toujours

Dans la vie masqué

 

Plus de blasphèmes ni de crachats

Lancés à la face des dieux impies

Demande seulement à la lumière

Qui naîtra de tes mots de tes cris

Qu'elle accorde à des mains inconnues

Le droit de venir poser chaque nuit

Une pierre blanche sur ton front


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