DANS LA MATRICE DU MONDE.
Ton corps lesté par tous les songes de la nuit
Devient chaque jour matière
Plus inerte et pesante
Même si le coeur s'éprend d'espace
A chaque aube nouvelle
Ton souffle semble rétrécir
L'essor de la lumière sur ton visage
Dès que tu prononces un mot
Qui n'est plus familier à ta langue
Toujours cette chute à l'aplomb du vide
Qui s'accélère dans ta tête
Le poids de l'air démembre ton corps
Soumis à l'oubli du temps
Tu éprouves ce vertige incessant de l'oeil
Déjà ébloui par toutes les couleurs
Que répandront les saisons futures
Dans la nue déserte et sur la page blanche
Ton corps gravit l'ombre
Qui fuse d'entre les rochers
Et se réduit à la grosseur d'une pierre
Que des mains lancent vers le soleil
Tes os sont si fragiles
Et si friables que tu as peur
Qu'ils se brisent comme du verre
A chaque pas à chaque souffle
Tu sais que la mort volage
N'est déjà plus qu'un squelette
Qui s'émiette entre tes doigts
Tu cherches dès le seuil franchi
Un lieu d'exil qui soit plus humain
Que ce désert de sable et de mots
Un ailleurs qui soit étranger à ton pas
Et qui devienne dans ta chair
L'âme de tous les feux à naître
Et toujours cette chute à l'abîme
Qui s'ouvre sous tes pieds nus
Et qui t'allège de ton poids
Jusqu'à ce que ce vide
Qui se creuse à l'intérieur de toi
Prenne la forme de ton corps
Corps que tu voudrais double au miroir
Mais qui reste unique dans ton regard
Depuis ta mise au monde
Par une nuit de lune noire
Le corps rebelle à la souffrance
T'obsède bien plus que l'âme
Mortel enfin dans ta chair
Cette chair nue à vif que racle
Une autre chair jusqu'à l'os
Voilà qu'elle s'ouvre comme une blessure
Profonde au coeur de l'éclair
Qui te foudroie pour que gicle de tes cris
L'inexorable sarabande du sang
Brèves étreintes sans passion
Dans la moiteur des nuits
Privées de songes et de désirs
Tu lacérerais de tes ongles ton visage
S'il n'était le tien
Mais tu préfères rudoyer ce corps déjeté
Qui n'a plus apparence humaine
Même les miroirs refusent ton visage
Trop retors et sournois pour eux
Combien l'âme est étroite
Et ladre en amour
La douleur des os dessèche le coeur
Coeur déjà rongé par les vers
Vers en liesse qui s'empiffrent au festin de la mort
Sois cruel et féroce avec toi-même
Que personne ne t'accompagne
Dans ta chute à l'abîme
Tu veux être seul pour franchir le gué
Qui t'escorte vers des terres plus lointaines
Mais la vie finit toujours dans un trou sans fond
Dans un trou qui n'a pas de nom
Et qui n'appartient plus à ce lieu pareillement obscur
Déserte le labyrinthe du langage
Les mots qui se détachent de ta langue
Ne sont que lambeaux de chair morte
Assez de ce tintamarre de phrases absurdes
Qui ricochent sur les parois du crâne
Tu ne peux combattre avec tes mots
Cette dérisoire mascarade de l'esprit
Ton visage est trop lisse sans vie
Il manque d'angles et d'aspérités
Il faudrait dis-tu que les êtres
Soient tout en arêtes et saillies
Tu ne veux écouter que les voix qui griffent
Les visages multiples de l'ombre
Et rongent patiemment la pierre de l'oubli
Abjure chaque jour cette rouerie verbale
Qui est froide et coupante
Comme la lame d'un couteau
La douleur écartèle tes membres
Ton ventre n'héberge qu'un cadavre
Qui tombe en poussière dans la matrice du monde
Muré en toi comme dans un tombeau
Tu n'es qu'un bloc de ténèbres
Qui scelle l'éclat du songe
Au rire cruel de la mort
Pas un rai de lumière ne traverse l'oeil
Ne se referme sur ton visage
Tu rejettes ce corps difforme
Qui se recroqueville en toi
Jusqu'à ne plus être qu'un invisible
Gisant de pierre dans ta poitrine
Aimer aimer à la folie
Mordre goulûment la chair de l'autre
La triturer entre ses dents comme un fruit mûr
Mais toute chair étrangère paraît
Encore trop fade sur ta langue
Tu préfères te nourrir de ta propre chair
Aimer jusqu'au sang
Aimer jusqu'à l'os
Le sang est l'origine de l'homme
Il est aussi sa mémoire future
Née au coeur du silex et de l'argile
Qui brûlera ta chair comme le feu
Qui couve sous la cendre
Un caillot obstrue soudain ta bouche
Bouche qui n'est plus sonore
Privée de mots
Enfonce-toi dans cet oeil qui s'ouvre
Et se referme dans les ténèbres
Pour un long voyage parmi les songes à venir
Corps dépecé par l'amour
Réduit à l'épure d'une pensée
Qui n'est plus charnelle
Douleur de n'être qu'un foetus de l'esprit
Tu tombes dans ce trou sans fond
L'ongle de la mort racle les parois de la matrice
Bouche grande ouverte
Tu avales tous ces cris humains
Qui n'ont en partage que charniers
Et ruines de notre monde
Respire coeur félon respire
Et cogne dans ta poitrine
Chair flétrie dès avant la naissance
Tu ne seras plus demain ici-bas
Hors de la matière et du temps
Qu'un tas de cendres grises
Sur la langue roide des morts
Jour de douleur dans ta chair
Cette brève percée de l'ombre
Dans la mémoire des siècles
Arrache cet oeil qui te regarde dans la nuit
Sois aveugle et parjure
Que ton pas ignore tous ces chemins
Qui ne sont plus à hauteur d'homme
La vie s'amenuise et rétrécit ta marche
D'un bond tu as traversé ce lieu
Que tes mots ne peuvent plus nommer
Pour rejoindre des fleuves inconnus
Des mondes nouveaux
Obscurs et indéchiffrables
Un autre souffle hante déjà ton souffle
Tes lèvres sont cousues d'épines
Tu saignes et répands ton sang
Sur le froid linceul des jours
Chair rompue passion sacrilège
Il te faudra combattre la mort
D'une rive à l'autre sans relâche
Bien que tu n'aies plus ni armes ni feu
Pour tailler à vif dans sa chair
Jusqu'à ce qu'elle te fende
En deux par le travers
Qui t'a fait sortir par cette fente
Qui s'ouvre à ton flanc
Et se referme au flanc des pierres
Qui t'a jeté sans pitié dans le chaos
Et la noire folie des hommes
C'est ta bouche d'ombre qui parle
Par la bouche des vivants
Tu défies brasiers et temples de l'esprit
Toujours observant toujours observé
L'oeil est un judas
A poitrine osseuse maigre passion
Brandis ton poing vers le soleil
Et brise les miroirs mensongers
Te voilà à présent livré tout entier
Aux flèches de la souffrance
Harcelé de tous côtés faudra-t-il que tu avances toujours
Dans la vie masqué
Plus de blasphèmes ni de crachats
Lancés à la face des dieux impies
Demande seulement à la lumière
Qui naîtra de tes mots de tes cris
Qu'elle accorde à des mains inconnues
Le droit de venir poser chaque nuit
Une pierre blanche sur ton front