On ne plaisante pas avec la politesse à l'école bavaroise: Servus!

Publié le 12 juin 2011 par Luc-Henri Roger @munichandco
Voici une petite anecdote qui va laisser pantois plus d'un enseignant français ou belge. Un ado de 14 ans s'est vu notifier un avertissement écrit, envoyé aux parents et consigné dans son dossier scolaire, pour avoir salué sa professeure de mathématique par un Salut, Madame Unetelle (Servus, Frau X) alors que la formule rituelle est Bonjour, Madame Unetelle  (Guten Morgen, Frau X). On est bien à Munich au 21ème siècle, il ne s'agit pas d'une anecdote relevée dans les archives d'un journal à la fin du 19ème siècle.
L'affaire est relatée par les quotidiens munichois de ce week-end: c'est d'abord l'Abendzeitung qui l'ébruite et s'en inquiète, et ce samedi l'éminent Sueddeutsche Zeitung en fait un éditorial plus amusé.
Le débat ne porte en fait pas sur la politesse. Dans le cadre scolaire bavarois, c'est une obligation qui ne se discute pas. Il porte sur la manière de l'exprimer: la question n'est pas de savoir s'il faut être poli, mais s'il est opportun d'utiliser une expression typiquement bavaroise là où l'on s'attend à l'emploi de la formule allemande. Si les journaux munichois s'agitent ou s'amusent de l'incident, c'est qu'il touche à la bavaritude.
Servus!
En latin, on le sait, le servus est l'esclave, le mot s'est transformé en serf en français. On retrouve le sens actuel de Servus dans Serviteur, un terme communément attesté comme formule de salutation dans la langue théâtrale française des quatre derniers siècles.
Bien sûr lorsqu'un Bavarois contemporain utilise cette expression, il n'a pas en tête le sens étymologique, il ne se rabaisse pas au rang d'esclave, il est simplement familier et gentil, il veut vous saluer ou prendre congé de vous, sans être formel. C'est bon enfant, cela tient du Salut! ou du Ciao. Et c'est généralement lié au tutoiement. Cela s'emploie tant pour saluer que pour prendre congé.
On peut le concéder, c'est sans doute un peu familier et léger pour s'adresser à ses professeurs.
Mais à la fois, le Bavarois est fier de sa langue et de son Land, et parsème volontiers son discours de régionalismes.
Personne n'aurait pris la défense d'un élève qui aurait salué son professeur d'un Moin Moin, [prononcer moïn moïn] une expression qui vient du  bas-allemand (Plattdeutsch), et qui signifie bonjour (le premier Moin serait proche du néerlandais Mooi, le second dériverait de Morgen, journée). Moin Moin fait vraiment très populaire. Puis cela vient du Nord, pas de Moin Moin donc, vraiment répréhensible!
Et puis les journaux rappellent que cette expression n'est pas uniquement d'usage populaire: Servus était autrefois employé par les nobles autrichiens pour se saluer entre eux.
Le règlement scolaire bavarois Il est fixé par le Code bavarois d'éducation et d'instruction (Bayerisches Gesetz über das Erziehungs- und Unterrichtswesen, que l'on abrège en BayEUG). Dans le cas qui nous occupe, l'enseignante et l'école ont eu recours à  l'article 86, §2, qui réglemente la hiérarchie des blâmes, et la manière de les notifier. Cela va de l'avertissement écrit jusqu'aux diverses formes d'exclusion des cours et au renvoi. L'école a ici donc utilisé la forme la plus légère, l'avertissement écrit.
Il faut savoir que dans les écoles allemandes, le salut au professeur est réglementé. Lorsqu'un professeur entre en classe, il est habituel que les élèves se lèvent et saluent en choeur par exemple en disant Bonjour, Madame X. La professeure, qui s'est vue saluer d'un Serviteur!, a aussitôt reproché à l'élève son manque de respect. Et la direction a confirmé le blâme deux jours plus tard en envoyant un avertissement écrit aux parents: Votre fils Vincent, élève en classe de 7ème, a salué en date du 30 mai 2011 son enseignante de mathématique d'un 'Servus'. Les règles du rituel de salutation ont été fixées dès le début de l'année scolaire et se répètent au début de chaque période de cours. Un tel comportement est irrespectueux vis-à-vis de l'enseignant. Cela ne peut être toléré.  La direction insiste sur le fait que le respect de la dignité dans les relations humaines est nécessaire au bon fonctionnement d' un établissement de 800 élèves. 
Le journaliste de l'Abendzeitung estime l'avertissement injustifié, au nom de la bavaritude, l'éditorialiste du Sueddeutsche semble plutôt trouver l'avertissement excessif. Remarquons que nulle part, ni dans les journaux ni à l'école,  on ne parle du ton  employé par l'élève, on évoque seulement l'emploi d'une expression inappropriée aux yeux de certains.
Le piquant de l'anecdote intéressera peut-être les anthropologues. Il ne faut pas voguer vers les lointaines îles Trobriand pour découvrir de nouveaux sujets d'études, le microcosme bavarois peut s'avérer passionnant! Surréaliste, n'est-il pas?
Servus!
Les commentaires d'un professeur bavarois
Ce n’est pas tellement la formule qu’un élève emploie mais plutôt le ton ou bien le rapport élève-prof qui compte. Je m’étonne chaque fois qu’un élève dise « tschüß » ou bien, comme dans cet article, « Servus ». Mais je ne notifierais jamais les parents, si tant est qu’un élève veuille montrer son manque de respect et qu’il le fasse exprès, ce qui ne m’est jamais encore arrivé. Je les corrige normalement en leur signalant que « Servus » ne s’emploie pas avec les profs, mais les enfants aiment jouer et souvent voudraient communiquer sur un plan plus personnel. C’est compréhensible mais pas repréhensible, je trouve, et surtout ne porte pas atteinte à mon autorité, je les trouve plutôt sympatiques, ces tentatives.