Tel est le point de départ de Proies, une nouvelle enquête pour Jack Caffery et Flea Marley, tous deux flics du côté de Bristol, la seconde spécialisée dans la plongée en eaux troubles, ce qui constitue une partie d’un charme auquel Jack n’est pas insensible. Mais il a été déçu par Flea, pour une raison qu’il ne peut lui expliquer et que nous ne dirons pas non plus – les lecteurs des précédents volumes le savent, les nouveaux venus le découvriront.
Les deux membres de ce couple qui n’en est pas un mais pourrait le devenir plus tard ont été blessés par la vie. Mo Hayder les a placés côte à côte pour leur fournir l’occasion de se soutenir mutuellement, de s’apporter réconfort, amitié, et plus si affinités. Elle prend, depuis plusieurs romans, un malin plaisir à retarder ce moment.
Elle a d’autres chats à fouetter. N’oublions pas l’enquête en cours, le criminel dangereux sur les traces duquel se sont lancés les policiers – avec bien peu de résultats, et le sentiment croissant d’une impuissance déprimante.
Une voiture bleue, la silhouette d’un homme qui ne laisse aucune trace exploitable et a beaucoup de chance, puisqu’il échappe aux caméras installées un peu partout. A moins qu’il ne s’agisse pas de chance et qu’il possède une source fiable de renseignements – hypothèse encore plus inquiétante. Celui que Jack appelle le Marcheur, et qu’il rencontre de temps en temps dans la campagne comme un sage chargé d’éclairer les questions insolubles, affirme que le coupable est très intelligent, plus intelligent que tous les autres…
Nous voilà bien avancés, et la police aussi, qui patauge au sens propre et au sens figuré – le sens propre ayant une odeur pas toujours plaisante, notamment dans un tunnel désaffecté en voie d’éboulement que Flea s’obstine à fouiller, au risque d’être prise au piège.
Mo Hayder l’a montré plusieurs fois: elle est douée pour tracer des pistes solides qui se révèlent des impasses. On la suit en croyant chaque fois que l’affaire est réglée – et en se demandant ce qu’elle va trouver pour aller jusqu’au bout du volume. Car le volume est consistant, même s’il n’est pas de ceux qu’on abandonne en cours de route. Les rebondissements sont du genre à renforcer une peur qui s’est installée dès le début.
En jouant sur une corde sensible – l’enlèvement d’enfants –, elle semble donner dans la facilité. Car, bien sûr, on ne peut que courir avec elle à la recherche du monstre. Mo Hayder est plus fine que cela. Mais il faudra remettre en question quelques évidences, comme dans toute énigme qui se respecte, passer et repasser sur les lieux du crime – des crimes – avant d’en comprendre l’implacable logique. Qui n’est donc pas, autant prévenir tout de suite, celle à laquelle on avait d’abord pensé.
Les âmes sensibles se détourneront peut-être: la romancière ne recule devant aucun détail susceptible de noircir le tableau. Si en revanche on accepte de voir l’horreur en face, de plonger sans respirer dans des atmosphères délétères, voici un livre qui a tout, et à plusieurs niveaux, pour provoquer les battements de cœur qui font se sentir vivant.