[DOSSIER] L’affiche donne le ton

Par Kub3

Entre l’œuvre et le regard du spectateur, l’affiche de film est un support complexe, à l’articulation de l’artistique et du marketing, de la promesse et du mensonge. Une bonne affiche doit-elle refléter le film, lui rester fidèle, ou au contraire, susciter avant tout le désir du public quitte à le tromper sur la marchandise ?

Bien sûr, les distributeurs (en charge notamment de la promotion des films) prennent soin d’éviter tout systématisme en la matière. Chaque sortie de film est encadrée d’une stratégie qui lui est propre, au sein de laquelle l’affiche trouve son équilibre plus ou moins dosé entre l’originalité d’une proposition artistique et des codes visuels reconnus.

La beauté d’une affiche relève d’un jugement forcément subjectif, mais son efficacité peut être appréhendée de manière plus rigoureuse, eu égard au succès du film au box office. Le jugement peut paraître simpliste, mais la corrélation entre “succès du film” et “bonnes affiches” provoque logiquement une uniformisation de ces dernières, en termes de couleurs, de chromatismes, de contrastes, de composition esthétique.

Les règles stylistiques des affiches permettent à la fois d’identifier rapidement le genre du film, mais aussi de titiller l’envie plus ou moins conscience du spectateur. Dès les années 1960, le psychologue et philosophe Max Lüscher démontrait l’effet hypnotique des couleurs d’emballages sur le consommateur. Avec son propre marketing, le cinéma s’est totalement emparé de cette “psychologie des couleurs”, en assimilant certaines tonalités à des genres bien particuliers, construisant peu à peu une culture visuelle commune aux spectateurs.

Petit panorama illustratif et non exhaustif de ces affiches qui nous en font voir de toutes les couleurs (la plupart des observations ci-dessous sont tirées d’une étude du CNC – cf. lien en bas de page) :

Commençons par l’évidence. Tandis que les couleurs claires – et particulièrement le blanc – évoquent la légèreté et l’humour, le noir et les couleurs sombres amènent naturellement vers un univers plus grave et angoissant. Mais la manière d’allier le blanc et le noir sur une affiche peut aussi évoquer des genres différents :

Le noir pur relève plutôt du film de genre (horreur, fantastique ou science fiction). Il faut aussi noter que les films fantastiques ou de SF font souvent appel à des affiches composées de noir, traversées de raies de lumière spectrale (rouge, bleu, vert) :

Le blanc pur annonce une comédie ou, dans le cas d’un film plus dramatique, incite à ne pas prendre les enjeux avec trop de gravité. L’inconvénient d’une affiche trop “blanche” est qu’elle peut donner l’impression d’un film vide ou qui a manqué de moyens :

La séparation nette entre le noir et une couleur claire ou vive évoque souvent une dualité morale (bien/mal), très prisée dans les films de guerre, d’action, ou les westerns :

Le noir et blanc mêlés amènent davantage d’ambigüité. On les retrouve davantage dans les films noirs et les films policiers :

Dans les tons vifs, le jaune est devenu l’apanage des affiches de comédies indépendantes, pour une majorité d’entre-elles américaines :

La profusion de couleurs chaudes évoque quant à elle plutôt un mélodrame :

Au sein de l’industrie hollywoodienne, l’association orange/bleu est très récurrente sur les affiches de blockbusters. Cette association d’une couleur chaude avec une couleur froide créerait naturellement un équilibre visuel agréable à l’œil :

La dominante bleue semble quant à elle très prisée par les affiches de documentaires animaliers. Christophe Courtois (distributeur chez SND) le montre brillamment sur son blog.

Pour en savoir plus sur le marketing de l’affiche de cinéma :
Rapport d’étude sur les titres, affiches et bandes-annonces de films – CNC, Juillet 2000 : disponible ici

Crédits : graphique © CNC