Entretien de Philippe Gras avec André Laignel, ancien Ministre, Député Européen :
Philippe Gras : Le traité de Lisbonne sur les institutions et la gouvernance européenne a donc été adopté sans difficulté, quel regard portez-vous sur les débats qui ont précédé le vote au Parlement et dans l’opinion ?
André Laignel : Mais de quels débats parlons-nous !! De débats, il n’y en a point eu puisque le gouvernement a choisi la voie parlementaire justement pour éviter tout débat. Il est parfois, des périodes de l’Histoire, où le déni démocratique est érigé en principe. Le 29 mai 2005, le peuple français rejetait à une très large majorité le projet de constitution européenne. Le taux de participation était de près de 70%. Il sera suivi quelques jours plus tard par le - non - des citoyens néerlandais.
Aux Pays-Bas comme en France, les citoyens n’ont pas accepté l’orientation libérale de l’Europe, ont dénoncé le caractère anti-démocratique de cette constitution et le fait qu’elle donne plus d’importance à l’économie qu’à l’Homme.
N’y allons pas par quatre chemins, Ce déni démocratique est une injustice sociale.
La coïncidence des échéances municipales et cantonales a-t-elle porté préjudice au débat ?
Ne faisons pas de confusion naïve, s’il y a eu absence de débat ce n’est sûrement pas les prochaines échéances électorales qui en sont la cause. En refusant la voie référendaire, le président Sarkozy a étouffé toute possibilité de débat démocratique, voilà la réalité.
Le gouvernement a semble-t-il eu peur de la vox populi.
En ménageant la chèvre et le chou pour préserver sa cohésion, le Parti socialiste apparaît désormais dans une situation très fragile. Qu’en est-il aujourd’hui du clivage entre la Gauche et la droite, la première ne va-t-elle pas être emportée par la marée de l’ouvertureet qu’en est-il du parti de François Mitterrand aujourd’hui ?
Mon engagement au Parti socialiste et auprès de François Mitterrand ne date pas d’hier. Mes convictions, ancrées à gauche, n’ont pas bougé car pour moi, et contrairement au battage médiatique, la gauche a un grand avenir devant elle. Les français(es) ne sont pas dupes, les gesticulations gouvernementales ne pourront masquer très longtemps leur déception, voire leur défiance.
Je me souviens d’une phrase de François Mitterrand: “Où il y a une volonté, il y a un chemin”. Ce chemin passe aujourd’hui par une union de toute la gauche.
C’est à présent à vous, au Parlement européen, qu’il revient de défendre les intérêts des Français. Quel y est l’état des forces en présence et quelle y sera votre stratégie ?
Le rapport des forces au sein du Parlement est, sans surprise, en faveur de l’adoption du traité de Lisbonne. Toutefois, loin de moi l’idée d’abandonner la lutte. Je peux d’ores et déjà confirmer que je voterai contre ce texte lors de la prochaine session du Parlement européen. Et je ne suis pas seul à défendre cette position, nous ferons entendre nos voix.
Rappelons que les électeurs de l’Indre s’étaient massivement rendus aux urnes en mai 2005 (NDLR : 73% de votants), et que leur décision avait été clairement énoncée : le non en était sorti largement vainqueur avec 63,28% des bulletins exprimés. Personnellement, j’aurais voté « non » à Versailles. Mais en tant que « simple » député européen, je n’ai pas été convié…
Quelles seront les conséquences pratiques du traité de Lisbonne sur notre vie quotidienne ?
En érigeant comme principe la concurrence libre et non faussée, en considérant les services publics comme une simple valeur marchande, nous pouvons facilement percevoir les conséquences néfastes sur la vie de nos concitoyens. D’ailleurs, aujourd’hui, nous vivons les épisodes souvent chaotiques de la libéralisation du marché des énergies, des transports. Pour la plupart d’entre elles, dans les pays où elles se sont déjà produites, ces libéralisations ont eu pour effet de réduire la qualité du service et d’augmenter les prix. Dernière victime en date, La Poste. La libéralisation des services postaux, prévue en 2011, est conséquence directe de cette dérive libérale. La Poste n’est pas un simple service comme un autre. Dans beaucoup de régions, il demeure le lien social indispensable entre des personnes et des territoires souvent en difficultés. J’ai d’ailleurs voté contre cette libéralisation, comme de nombreux élus de gauche.
Aujourd’hui les restructurations se poursuivent et les délocalisations reprennent de plus belle. Le président de la République a prévu lundi de donner un signal fort à propos du rôle qu’il entend jouer pour préserver l’outil industriel en France, alors qu’on apprenait le déménagement d’une usine de sous-traitance automobile en Slovaquie. Quelle est votre analyse au sujet de l’emploi ?
Sans tomber dans un catastrophisme, le rythme effréné des restructurations et des délocalisations en France est très préoccupant. Toutefois notre pays n’est pas sans ressources, mais encore faut-il qu’il reprenne confiance en lui. Je rappellerai tout d’abord que la France est le troisième pays dans le monde à attirer les investissements étrangers. En outre, nos services sont souvent imités dans beaucoup régions de la planète.
Certes, l’outil industriel français connait certaines difficultés mais n’exagérons rien.
Le problème est ailleurs, entre 2000 et 2007, 172 milliards d’euros ont été prélevés des salaires afin de rémunérer le capital financier. Voilà, le fond du problème.
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