Votez pour la démondialisation. Arnaud Montebourg.

Publié le 11 juin 2011 par Edgar @edgarpoe

Il y a du très bon et du très mauvais dans ce livre.

Commençons par le très bon - comme ça le lecteur sait déjà ce qui l'emporte.

La bonne nouvelle c'est que Montebourg semble renouer avec l'idée que la gauche doit mordre. Sans exiger que des têtes tombent, il est évident que si la gauche n'a aucune idée dérangeante, elle n'est plus la gauche. On peut théoriser cela, à la Terra Nova, mais cela revient à accepter l'idée que l'alternance sert juste à faire remplacer les technocrates de gauche par ceux de droite, et vice-versa.

Le lecteur est donc content de ne pas lire de la guimauve sur les bienfaits de la mondialisation, mais plutôt un ensemble de rappels incluant le suicide de 25 000 paysans en Inde aussi bien que le coût des délocalisations et de la désindustrialisation.

Montebourg reprend donc des analyses de Patrick Artus, Stiglitz ou de Jacques Sapir, et emploie des formules enfin tranchantes : "L'erreur fatale, c'est qu'à la place des Etats souverains, on a installé des entreprises capables d'être plus fortes qu'eux, de les faire chanter et d'obtenir ce qu'elles veulent pour elles-mêmes et ceux qui les possèdent, au détriment des peuples."

Il est précis et documenté dans ses arguments, ce qui joue en sa faveur.

Ses propositions contiennent des points qui vont dans le bon sens ou qui ont plus de portée que ce qui est habituellement envisagé :

 - des taxes sociales et environnementales pour limiter la concurrence déloyale, organisée actuellement au détriment des industriels de chez nous. Contrairement aux propositions vagues en ce sens qu'on peut lire ici ou là, il préconise la création d'une agence qui calculerait les droits à percevoir en fonction des législations sociales et environnementales des pays producteurs ;

-  c'est tout.

Si l'on reprend le livre, en effet, presque tout ce que propose Montebourg relève de l'instauration de taxes aux frontières européennes.

C'est là que le bât blesse.

D'abord, sur le fond, parce que les taxes ne seront, à mon avis, jamais d'une ampleur suffisante pour renverser la vapeur en matière de désindustrialisation et de croissance limitée. Je suis plutôt favorable à des taxes corrigeant les disparités de change, bien plus faciles à mettre en place à un niveau efficace.

Par ailleurs, Montebourg ne dit à peu près rien sur les effets désastreux de la politique monétaire menée par la BCE, entre autres facteurs du marasme actuel.

Il mise tout sur une stratégie à la Todd : le protectionnisme européen. Todd serait le Guaino d'un Montebourg président, cela ressort clairement de cet ouvrage - d'ailleurs préfacé par Todd.

Comme Todd le résume parfaitement en  deux phrases d'introduction : "[Montebourg] propose, en termes clairs, une solution : le protectionnisme européen avec sa nécessaire dimension écologique. En homme d'Etat, il admet que la solution passe par une négociation ferme et amicale avec l'Allemagne".

Sur la méthode donc, tout repose donc sur ce bras de fer amical avec l'Allemagne. Qu'il rate et le programme Montebourg échoue ; il est dommage que le Royaume-Uni ne soit pas même cité, qui ne jouerait pas un rôle neutre dans une telle partie.

Sachant l'audace - la fragilité - du projet de Montebourg, chaque imprécision est blamable, ou nuit fortement à la crédibilité de l'ensemble.

Malheureusement, et c'est là que les ennuis commencent, les imprécisions sont telles qu'une impression de flou artistique domine...

 Première facilité, qui, si l'on sait lire, devrait suffire à faire refermer l'ouvrage : "Ce projet que nous pouvons construire [...] vise à rendre la République française et l'Union européenne plus fortes que la mondialisation". Comme si les intérêts de la France et de l'Union européenne étaient, de toute évidence et comme un fait de nature, indissolublement liés. Alors que la culture politique majoritaire de l'Union est bien plus favorable aux marchés et à la mondialisation que celle de la France.

Sous couvert de nous défendre vigoureusement, Montebourg fait passer l'idée que toute question sur l'intérêt de l'appartenance à l'Union pour la France doit être écartée.

Je signale au passage cette énormité. La préface de Todd à ce livre se termine ainsi : "[avec Montebourg] les socialistes [...] auront [un programme] capable de réconcilier les citoyens avec leur classe politique, avec leurs institutions, avec l'idée européenne".  Qui a envie de se réconcilier avec l'idée européenne ? En quoi cela doit-il être le but ultime de la campagne de 2012 ?

 Montebourg doit, s'il veut réussir ce programme, ne pas tricher avec la vérité. Or, il écrit par exemple (p. 56), autre facilité, que les Etats peuvent choisir d'invoquer des clauses de sauvegarde écologiques auprès de l'OMC, y compris la France. Mais la France étant représentée par l'Union européenne à l'OMC, je doute fort du caractère réaliste d'une telle proposition.

Même flou quand l'auteur réclame que la France impose des accords commerciaux avec des normes sociales à ses partenaires extérieurs. Il faudra d'abord qu'elle les impose à ses partenaires de l'UE, qui, pour la plupart, n'en veulent pas - les Pays-Bas sont fortement ouverts et ce sont les deuxièmes contributeurs nets au budget de l'Union. Il n'y a pas que l'Allemagne autour de la table.

Montebourg exagère les pouvoirs de la France au sein de l'Union (ses futurs pouvoirs s'il était élu), probablement pour masquer l'ampleur de son pari : le grand bras de fer avec l'Allemagne est en réalité le coeur du programme.

Pour l'emporter, Montebourg propose du troc.

Par exemple, "discipline budgétaire en Europe contre la hausse des salaires dans nos deux pays". Mettons un peu de chair sur ces mots abstraits de "discipline budgétaire en Europe", qui n'ont l'air de rien. Ca veut dire très concrètement que l'Union pourra tondre les grecs jusqu'au dernier portugais, au nom d'un rigorisme budgétaire qui plaît à l'Allemagne même s'il est suicidaire, pourvu que les salaires franco-allemands progressent.

Belle conception socialiste de la solidarité européenne !

 Pour maquiller ces arrangements peu glorieux, quelques gadgets sont parsemés. Par exemple on ressort, à dix lignes de la fin du livre, "un salaire minimum état par état [qui] serait une première pierre". Sans plus de précision, c'est de la bouillie pour chat.

Autre sujet évoqué in fine,  la proposition de créer un budget communautaire doté de ressources propres accrues.  Devant le gâchis actuel de l'Union européenne, l'inefficacité patente de cet ensemble, je ne comprends simplement pas la pertinence de cette proposition. Nous devrions plutôt, dans la perspective d'un bras de fer, menacer de réduire la contribution française audit budget.

*

Les lecteurs pourront, pour deux euros, se faire leur propre idée de cet ouvrage. Très sincèrement, j'ai été bluffé pendant une bonne partie de ma lecture : on sort du sirop habituel sur l'évidence des bienfaits de l'Union et du libre-échange intégral.

 A la relecture, il apparaît que Montebourg mise tout sur un changement d'attitude de l'Allemagne qui entraînerait celui de toute l'Europe. Cette stratégie est fragile et il n'en a aucune de rechange,  cela se voit - et ne pas avoir de stratégie de rechange c'est le début de la défaite, lisez ce billet chez Descartes, fort bien hum... troussé, sur les relations Mélenchon-PCF.

Relisant l'ouvrage, on se demande si le but est de renforcer l'Europe - sans trop s'interroger sur le rôle qu'elle joue dans la mondialisation - ou de sortir la France d'un jeu délétère où les Etats abdiquent leur volonté régulatrice.

Sans doute faut-il chercher des détails sur le site que Montebourg a consacré à ce sujet.

  L'adresse est en première page du livre. Ca s'appelle, hum..., www.demondialisation.eu

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Post scriptum : Montebourg se fait tout de même traiter de connard anti-européen par Alain Minc, c'est un excellent point pour lui...