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Très certainement, la peinture de Marc Desgrandchamps à été pour les peintres de tendance figurative de ma génération un soutient, une présence nous donnant sur le chemin dur une certaine force de conviction. Simplement, elle nous donnait une légitimité : si lui existait, et commençait à bénéficier d’une certaine visibilité, nous n’étions alors pas tout à fait incongrus dans le paysage de l’art contemporain - que certains disaient numérique, conceptuel, d’espace, très peu pictural. La rencontre, je ne sais plus quand précisément. Certainement tardive. Quelqu’un aura lancé en regardant comment chez nous les coulures faisaient pleurer l’image : tu connais Desgrandchamps ? Et puis à cause de plusieurs fois, on sera allé voir. Peut-être quelques reproductions d’abord, à la bibliothèque, sans doute via Internet, de ça je n’ai pas souvenir. En tout cas son œuvre avait quelque chose de familière déjà à l’époque de l’exposition du centre Pompidou. Probable que l’on avait visité une de ses expositions à la galerie Zurcher. Et maintenant que je l’écris, oui, le souvenir même d’avoir là-bas entendu parler de cette expo prochaine à Beaubourg alors que je feuilletais négligemment quelques catalogues. D’abord la singularité de l’emploi sur toile d’une peinture très diluée, transparente, claire comme on pouvait la voir dans des œuvres sur papier, à l’aquarelle. Quelque chose qui lui donnait une légèreté inattendue, une luminosité, une « température » même pourrais-je dire compte tenu de l’emploi généralisé de verts et de bleus crus. Ce qui m’avait retenu dans une série c’était comme le motif crevait l’espace venant s’emboiter à l’esquisse comme les formes géométriques chez Poliakoff ou décoratives chez Gris organisent la surface : rayures de chaises de jardins, serviettes de plage dans des plans serrés… J’y trouvais quelque chose de très délicat et en même temps très volontaire. Une combinaison séduisante. Ce que j’ai retrouvé souvent par la suite c’était cette façon de construire l’espace en partant d’un grand calme (paysages de montagnes, déserts, bords de lacs) épaissi progressivement de tout un arrière monde, de silhouettes transparentes, fragments qui jouent au devant et donnent à l’ensemble une sorte d’irréalité fugitive. Un espace qui tout à la fois creuse une profondeur fictive, illusionniste, qui happe le regard et accuse une surface feuilletée sur laquelle viennent jouer des souvenirs mêlés au plus près, souvent tronqués. Le jeu des transparences, de découpes dans l’image font une oscillation entre le fond et la surface, les silhouettes ont la manière et l’éloquence d’images de films. Au centre Pompidou, c’était l’évidence simple des sujets, la clarté de la touche figurant parfois très sommairement et avec une sorte de naïveté qui évitait toute élégance maniériste -Une grande impression de cinéma dans ce réalisme là- la fiction, c'est-à-dire la présence de l’image et donc de celui qui fait l’image derrière chaque tableau. On y trouvait partout cette élégance ou cette délicatesse brute que l’on trouve dans certaines de ses silhouettes et qui rappelle les callipyges grecques et les vénus en équilibre : quelque chose qui tient à l’instant prégnant. Par la légèreté et la fluidité de la peinture, l’esquisse ou les superpositions il atteint parfois une certaine suspension photographique, comme si les images retenaient et accompagnaient un mouvement. J’ai trouvé plus anecdotiques, plus illustratives les toiles dépeignant des scènes urbaines, piétons sur des places, des carrefours. J’ai manqué une exposition où le bâtiment semblait soudainement devenir sujet. Sur quelques petits formats que j’ai vus me gênaient les détails qui en faisaient des scènes à la Boisrond : barrières de circulation, feux rouges, cyclistes… autant de choses qui éloignaient du sublime pour replacer la scène dans l’ordinaire laborieux. Connaissant de longue date le travail de Gérôme Basserode, j’avais été amusé de voir à Lyon et à Paris le jeu de citations qui parfois ouvrait dans l’espace de la toile une dimension nouvelle dans la série qui rapprochait le travail des deux artistes. J’y voyais les prémices d’une ouverture de l’espace pictural. La semaine dernière j’avais profité d’un passage sur Paris pour visiter son exposition au musée d’art moderne. Tantôt séduit, tantôt moins, parfois les toiles développant des compositions énigmatiques et belles, flottant des objets dans une sorte d’apesanteur magique, parfois un peu « faciles », manquant de corps ou plus laborieuses. Je me suis dit : drôle de chose que cette peinture qui est là et fait partie du paysage de la peinture actuelle et que je n’ai pourtant jamais pris en référence, dont je n’ai pas de catalogue auquel je reviens. Comme si j’attendais pour ça qu’elle se place plus clairement, qu’elle se dépouille de quelque chose pour s’affirmer plus magistrale, évidente. Peut-être que ne me nourrissent que les peintures épaisses et chaudes, les Rembrandt.