Il se pourrait que les mots
gardent définitivement attache avec ce qu’ils ont désigné d’abord lorsqu’on
apprenait à les associer aux choses. Le mot paysage
renvoyant à celui qui nous était natif, qu’on avait sous les yeux se
développant avec ses qualités propres, ses spécificités locales, plus qu’à tout
autre. La maison était celle que l’on
habitait ou celle que l’on voyait lorsqu’on tournait le regard alentour. Et
peut-être encore que dans chaque mot qu’on écrit, dans les phrases que l’on
tord se cherche un peu de ces images premières à valeur de vérité. Plus tard
les mots atteignent les idées même en accumulant les exemples pour recouvrir
l’image monstrueuse, multiple, qui englobe toutes les chaises vues et même celles qui n’existent pas encore mais pour
lesquelles les mots seraient prêts : ils excèdent le réel. Avec le temps
les mots ainsi se chargent, s’entourent d’un monde ; leurs associations
renvoient à mille choses qui bientôt se posent au devant, deviennent le monde
même : un monde d’images et de mots. Alors les images lèvent des mots et
les mots des images avec une façon d’abîme. Sans cesse les images en reviennent
aux mots, sans cesse les mots en reviennent aux images. Tout le travail de D.V.
se tient dans ces territoires, jouant des images qu’appellent les mots et
inscrivant les mots mêmes dans le corps des images. Adjoindre des mots et des
images, c’est déjà faire du cinéma disait à peu près Godard. Et tandis que le
monde même, par le regard que l’on porte sur lui, se déporte dans la fiction,
il nous semble que le paysage aussi se pense ; qu’il reconnaît une part de
ce qu’on lui accorde. Mais en réalité entre le mot et la chose se glisse toujours
un écart, l’un ne recouvrant jamais tout à fait l’autre, l’un excédent toujours
l’autre, et sans doute là-dedans s’engouffre pour partie ce qu’on appelle la poésie.
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