Lire au pied du Mont Fujiyama
Après un premier séjour avec quelques unes des plus grands maîtres de la littérature nippone, nous effectuerons une seconde étape littéraire sur cette île où cet art est peut-être aussi dynamique que toutes les entreprises qui lui ont valu le titre de «Dragon du Pacifique » . Nous irons donc à la rencontre de Fumiko Enchi qui m’a laissé une excellente impression après ce livre fort qui conte une histoire issue d’une époque où le Japon sortait à peine de la féodalité. Nous visiterons ensuite Kenji Nakagami qui nous entraînera là où l’océan entre en conflits, souvent violents, avec la terre comme le prouve la récente catastrophe. Et, nous terminerons notre séjour avec Akiyuki Nakagami et l’une des plus tragiques histoires de la littérature. Pour nous accompagner, nous avons choisi de faire route avec un candidat sérieux à un futur prix Nobel de littérature mais, hélas, dans un livre que je n’ai pas beaucoup aimé et je n’ai pas d’autres lectures à vous proposer pour l’instant. Je vous conseille donc de le lire dans une autre de ses œuvres.
Les amants du spoutnik
Haruki Murakami (1949 - ….)
Je me réjouissais de ce petit retour à la littérature japonaise que j’avais un peu délaissée depuis presque un an au moins mais mon plaisir fut vite émoussé, après quelques pages seulement, je fus bien obligé d’admettre que ce roman était aussi représentatif de la littérature nipponne que Les vestiges du jour d’Ishiguro ou que Éclipse d’Hirano. En effet, ce roman est très européen et Murakami utilise même certains clichés de la culture occidentale pour bien nous faire remarquer qu’il s’inscrit dans la lignée des grands auteurs européens ou américains qu’il cite, notamment Kerouac qui est l’idole d’une des protagonistes. L’autre protagoniste féminine fait commerce, entre autres, de vin et a étudié le piano à Paris où elle a découvert tous les grands classiques européens et elle apprécie notamment Mozart, Brahms, Schwarzkopf, …
Dans ce roman à la sauce européenne, Murakami constitue un trio avec deux femmes et un homme où les cartes sont particulièrement mal distribuées car chacun pourrait être aimé de celui qu’il n’aime pas et n’est pas aimé de celui qu’il aime. Sumire, jeune fille en rupture d’études qui essaie d’écrire un roman, tombe folle amoureuse de Miu, une élégante et belle bourgeoise, plus toute jeune, qui ne peut plus aimer, physiquement au moins, depuis une bien malheureuse aventure. Et, Le narrateur lui est très épris de Sumire mais celle-ci ne l’aime pas suffisamment pour partager sa couche et, a fortiori, sa vie.
Miu emploie Sumire et l’emmène en voyage en Europe pour son travail et un petit supplément de vacances au cours duquel la vie du trio est chamboulée et plonge brusquement dans un monde étrange qui perturbe sérieusement l’existence de chacun. A travers ces événements, Murakami nous entraîne sur le chemin de la coexistence entre ce que nous croyons savoir et ce que nous ignorons, ce qui génère des collisions dans le monde réel mais qui ne pose pas de problème dans le monde du rêve. Alors quel est notre monde celui de la réalité où celui que nous rêvons ? Les trois personnages sont confrontés à cette collision entre le monde du rêve et le monde réel et leur avenir est peut-être au bout de cette quête ou le dédoublement de la personnalité les guette.
C’est à ce voyage dans l’espace, qui déborde le cadre de la raison auquel nous invite l’auteur, que naissent les idées, les rêves, les pensées et peut-être même certaines certitudes. L’espace où sourd l’inspiration du romancier et le narrateur, comme voudrait le faire Sumire, est un espace écrit. C’est donc aussi une réflexion sur la fiction et la naissance de l’œuvre littéraire et au-delà sur le monde et sa réalité qui est peut-être aussi un peu dans le monde des rêves et pas si prosaïquement dans la matérialité des choses. Une forme de remise en question de nos sociétés, par trop pragmatiques, qui laissent peu de place à ceux qui pensent et rêvent sans compter, ni mesurer.
Un roman qui aurait pu être intéressant mais qui m’a laissé un peu l’impression du mariage de la carpe et du lapin, d’un côté une bluette mièvre et mollassonne, de l’autre une réflexion philosophique un peu embrouillée et peut-être pas si convaincante que je le dis. Et au final, une histoire d’amour mal tournée et une réflexion pas franchement convaincante ni très claire non plus. La compréhension n’est jamais que la somme des malentendus, voilà sans doute pourquoi, je n’ai pas tout compris !
Chemin de femmes de Fumiko Enchi ( 1905 - 1986 )
Pendant l’Ère de Meiji, au tournant du XIX° et du XX° siècle, le Japon ouvre timidement ses portes sur le monde extérieur mais les moeurs ancestrales restent encore vivement ancrées au sein de la société et des familles. C’est pendant cette période que l’héroïne de Fumiko Enki a vécu, épouse d’un haut fonctionnaire volage et égoïste, elle supporte avec courage et patience les humiliations que lui inflige ce mari machiste comme l’étaient tous les féodaux japonais à cette époque. L’épouse accueille même les diverses maîtresse de son seigneur et maître pour pouvoir rester à ses côtés et ne pas être rejetée.
C’est un beau livre de femmes que nous propose, avec tendresse et délicatesse malgré la violence qu’elle fait supporter à son héroïne, cette japonaise militante pour le respect des femmes bien avant que les féministes n’osent élever la voix au Japon et même dans beaucoup d’autres pays.
La mer aux arbres morts de Kenji Nakagani ( 1946 - 1992 )
Une histoire de famille qui se déroule à l’extrémité sud-est de Honshu, l’île principale du Japon, là où les vents sont si forts que les arbres ne peuvent pas résister à leurs assauts. Akiyuki, le fils d’une veuve, mère de cinq enfants, qui a été séduite par un charpentier, est rapidement emprisonné et navigue entre un père absent et son père d‘adoption. Il reste également à l’écart de son vrai père qui s’est rapidement enrichi et traîne une réputation douteuse. Un petit grain de sable viendra un jour mettre en péril l’équilibre précaire que cet enfant avait construit pour vivre entre sa famille et son vrai père. Une saga familiale qui se déroule dans les ruelles d’une petite ville du bout du monde, dans le peuple des petites gens, pleine de tensions, de violences en tous genres et de rebondissements.
Un livre qui ne laisse pas indifférent et dont je garde un fort souvenir tant par la violence qu’il comporte que par l’atmosphère qu’il dégage.
La tombe des lucioles de Akiyuki Nosaka ( 1930 - ... )
Un adolescent, Seita, et sa petite sœur, Setsuko, perdent leur famille sous un bombardement à Kobe pendant la guerre du Pacifique qui opposa les Japonais aux Américains. Les deux enfants, se retrouvant seuls dans la ville dévastée, se réfugient ensuite chez une vieille tante mais tout manque la nourriture, l’eau , … et la maladie les gagne rapidement pour les emmener à l’extrémité de leur courte vie en une fin inéluctable qu’on a comprise dès le début du livre.
Cette histoire tragique m’a littéralement fasciné et je ne dois pas être le seul car elle a fait l’objet d’une adaptation en bandes dessinées et en film. Un très grand moment d’émotion malgré une immense tristesse.
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