Avant de me plonger dans le bouquin j’ai cherché à en savoir plus sur l’auteur. Le livre est déposé légalement à Québec (Canada), mais à le lire je n’y trouve nulle trace tangible incitant à penser que Blandine nous vienne de la Belle Province.Sur Internet j’ai trouvé trace d’un second ouvrage Quatre murs et un toit qui vient de paraître chez le même éditeur et je conseille d’aller faire un tour sur leur site si une envie d’édition vous trotte en tête. J’ai abandonné mes recherches ici, car après tout, seul le texte m’importait.
C’est d’ailleurs ce texte qui va me révéler que Blandine Butelle est amatrice de musique, déjà le titre de son livre Voyez passer les orphelins est évidemment tiré d’une chanson de Jean-Luc Lahaye (Les boutons dorés), dans une nouvelle elle évoque « nous avons creusé un peu plus notre surdité précoce à coups de riffs de guitare et de grunt pour ne pas entendre ses gémissements pour une fois plaintifs » le grunt étant une technique vocale qui donne à la voix un effet caverneux (Exemple : la version de Summertime Blues par les Who), tandis que le dernier texte nommé Waterloo fait référence au groupe Abba.
Recueil de trois nouvelles, Voyez passer les orphelins évoque bien sûr des orphelins mais n’allez pas penser que nous sommes dans du Dickens, larme à l’œil et sanglots retenus, d’ailleurs pour reprendre une réflexion d’un personnage « Maintenant qu’il y pensait, il n’était pas sûr d’avoir déjà lu Dickens… ». Si le fond n’est pas gai, s’il y a de nombreux morts « on en était à douze meurtres en un peu moins de deux ans » constate l’un des personnages de Waterloo, la forme nous entraîne plutôt vers l’humour noir et les vacheries froides.
Trois histoires de familles. Les filles de Padraic ont perdu leur mère beaucoup trop tôt mais, contrairement à leur père, elles ont échappé à l’orphelinat et maintenant qu’une des sœurs est décédée elles le cachent à leur père. Dans Les Torchons, Ondine elle, a espéré toute son enfance être débarrassée de son encombrante famille mais les choses ne se sont pas déroulées comme elle l’imaginait. La nouvelle la plus longue et la plus épouvantable, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Enfin dans Waterloo, il y a Adèle qui aura une façon bien particulière de se soigner de sa triste enfance mais dont je ne peux rien vous dire.
Blandine Butelle réussit par un habile tour de passe-passe stylistique à nous fourguer trois polars, sans intrigue policière ! En ne conservant que les ressorts psychologiques des acteurs, l'ambiance et les cadavres pour que le lecteur ait un minimum à ronger – si j’ose écrire – mais en se débarrassant des poncifs éculés, inspecteurs, enquêtes etc. l’auteur nous intéresse d’autant plus à ses histoires. L’attention ne tombe jamais car la construction est soignée, des paragraphes courts, une alternance de points de vue selon les personnages (Les Torchons), ou bien des flash-back pour nous dérouter un peu. Les nouvelles ne sont jamais situées géographiquement, mais inconsciemment Les Torchons et Waterloo, les plus noires, je les ai imaginées dans un département du Nord de la France.
Un bon bouquin assurément.
PS : Ca m’a fait très plaisir de recevoir ce livre que je n’attendais pas mais je tiens à prévenir tous ceux qui voudraient imiter cet exemple, que je suis allergique à la lecture de textes sur l’écran de mon ordinateur et que si j’ai poussé mes yeux dans leurs ultimes retranchements c’est que ces nouvelles tenaient la route. Donc à l’avenir, si vous voulez que je chronique vos ouvrages, soit vous m’envoyez un exemplaire papier de votre livre, soit vous me fournissez un bon plan pour me procurer une liseuse électronique à un prix ridicule.
« Une chanson en espagnol s’échappait encore dela radio. Lesoleil se levait, le ciel était parfaitement dégagé. Une belle journée s’annonçait. Victor était allongé, les yeux ouverts. À quelques mètres de là, Mary sortait du brouillard. Elle devait se lever, elle le savait. Mais son corps pesait une tonne. Elle jeta un coup d’oeil versla gauche. Oscarétait là. Sa poitrine se soulevait doucement. Cela fit si étrangement plaisir à Mary qu’elle ne put s’empêcher de sourire. Elle l’observa encore un instant, pour se donner du courage. Elle prit alors une profonde inspiration pour hurler à l’aide. Un à l’aide absolument inutile, le corps éjecté de Victor sur le macadam attirerait suffisamment l’attention des bonnes volontés qui se présenteraient. Dès la fin de ce cri, son corps s’affaissa sur le siège auto. Faire le moindre mouvement lui parut alors impossible. La chanson en espagnol, doucement, s’éloignait. »
Blandine Butelle Voyez passer les orphelins Editions Dédicaces