On reste un peu sans voix devant les prix de sortie des grands bordeaux, à la veille de Vinexpo. Chacun y va de ses analyses, de ceux qui évoqueront toujours la simple loi de l'offre et de la demande, de ceux qui évoquent la part grandissante du vin considéré comme investissement et source de juteuses plus-values futures, de ceux qui pleurent sur un passé semblant à jamais révolu, de ceux qui alignent les anathèmes contre des producteurs maximisant leurs profits à court terme, sans trop se soucier d'une clientèle classique qui achetait pour consommer.
Que dire d'autre ?
On peut quand même avancer quelques commentaires sur des évolutions à venir.
De nouveaux regards sur d'autres régions
Nous parlons là pour les amateurs, ceux qui ne cherchent pas forcément à mettre sur table une étiquette en vogue. Il y a fort à parier que pas mal de consommateurs vont commencer à chercher ailleurs : Languedoc-Roussillon, Toscane, Ribera del Duero, Portugal, Loire. La Bourgogne ? ce sera difficile, car là aussi les prix des meilleurs crus vont certainement exploser à la suite des bordeaux, et d'autant plus vite qu'ici le mot rareté a un sens réel.
Finalement, toutes ces régions produisant de beaux vins à des prix encore sages peuvent se réjouir de ce qui se passe à Bordeaux en haut de l'échelle. Et le gros travail qui reste à faire, est naturellement de mettre de plus en plus en évidence le nombre imposant de "petits" châteaux bordelais qui ont un mal fou à mieux se faire connaître et apprécier. L'influence de l'étiquette est tellement sensible ici !
Un nouveau regard sur la critique
Je cite un seul exemple écrit par un amateur sur le site de Parker au sujet des notes mises à LLC :
"Leoville Las Cases, for example, achieved an average score of 80.75 in the 1970s, 89.5 in the 1980s, 92.4 in the 1990s, and 94.8 in the 2000s"
Peut-on vraiment croire qu'il y a une telle différence qualitative entre les vins de la famille Delon entre ce qu'ils faisaient dans les années 70 et 80 et ce qui se fait maintenant ? On a le droit d'en douter.
L'inflation des points Parker a été un élément majeur dans cette inflation des prix. Et quand il vient maintenant morigéner les châteaux bordelais trop avides de super-profits immédiats, c'est un peu "L'apprenti sorcier" de Paul Dukas. Il n'est que temps de revenir vers des jugements moins dithyrambiques, et surtout d'attendre un minimum d'évolution des vins en bouteilles avant d'émettre des avis aussi superlatifs. Bref, un peu de mesure dans la critique, ça ne ferait pas de mal au schmilblick.
Mais on est à un virage fondamental : Bordeaux, du moins pour ces vins qui veulent être des marques, va avoir de moins en moins besoin des notes des critiques, quelqu'ils soient.
Une bombe à retardement
Les vins qui s'accumulent dans des chais et des entrepôts à des fins de plus-values conséquentes commencent à faire lourds dans le système. Vienne une crise internationale majeure qu'on verra des gestionnaires poussés à réaliser au mieux des ventes, histoire de récupérer l'investissement qui pourrait se révéler in fine très, très coûteux. Pas sûr qu'à ce moment là, il y ait une masse d'acheteurs.
Et pourtant…
Et pourtant, quand on regarde ce qui se passe dans d'autres secteurs ! La différence de valeur entre une Swatch et une Bréguet, entre une Clio et une Rolls est encore vastement supérieure à la différence entre un Lafite et un Haut-Carles !
Quelques conclusions temporaires
- regarder avec les yeux de Chimène les belles bouteilles qu'on a su encaver ces dernières décennies : on frise le diamant ! C'est madame qui va être impressionnée par votre sens aigü de l'épargne involontaire. Y penser : mettre une porte blindée, changer la serrure, et la garder autour du cou (la clé).
- s'inscrire chez Marionnet ou Burgaud ou même Bizeul pour sustenter ses besoins hebdomadaires de vins "plaisir" et laisser ainsi en héritage à sa progéniture quelques flacons qui feront d'eux de joyeux petits Audouze :-)
- ne pas se sentir obligés de forcer la courbette devant ces châteaux qui vont se briquer comme jamais : au contraire ! Les visiter, déguster (parfois cela coûte quelques euros), et regarder avec émotion le cheval qu'ils louent à la journée dans un sens bio très prisé en ce moment.
-ne pas oublier non plus d'aller rendre visite aux oncles et vieilles tantes qui ont peut-être encore quelques flacons d'anthologie : sait-on jamais ce qui s'y cache !
- donner une autre priorité à nos vies si courtes sur cette planète, en lisant un bon classique et en écoutant Bach, Verdi, Puccini, Mozart … avec un verre discret de Jouanda millésimé. Ça peut donner de belles vapeurs dignes d'Un singe en Hiver !
Bon week-end de Pentecôte. Que la flamme céleste se pose sur vous, comme un apôtre du XXIème siècle :-)