Paris, juin 2011
Le Dr. Salomon Lerner est professeur de philosophie à la Universidad Pontificia Católica del Perú dont il a été le recteur à diverses reprises. Il est aussi Président de l'Instituto de Democracia y Derechos Humanos basé dans cette même université.
Il est Docteur Honoris Causa de plusieurs universités dans divers pays, dont Paris IV-Sorbonne. Il est reconnu dans son pays, ainsi que dans le monde, par sa fonction de Président de la Commission Vérité et Réconciliation qui a fourni un rapport extrêmement lucide, sincère, et heureusement peu contesté, sur les vingt années de violence (1980-2000) qui ont représenté un des épisodes les plus dramatiques qu'a pu connaître l'histoire du pays.
Salomon Lerner a publié au Pérou un livre plus court, Hatun Willakuy. Versión abreviada del Informe Final de la Comisión de la Verdad y Reconciliación, en cours de publication à Paris aux Éditions Maison des Sciences de l'Homme, qui fait le point cinq ans après. Les élections présidentielles qui viennent de se dérouler montrent à quel point les analyses, les résultats et les propositions de la Commission étaient justes.
Salomon Lerner par Dominique Fournier
Le Pérou a besoin de réconciliation, c'est d'ailleurs le premier mot du Président élu Ollanta Humala, même s'il évoquait alors sans doute les affrontements de la campagne électorale. Une réconciliation entre deux pays qui n'ont toujours pas su se rejoindre, n'ont pas suffisamment appris du chaos dramatique et des quelque 70,000 morts de la fin du dernier siècle. Des morts qui, comme le dit Salomon Lerner, sont la conséquence des "profonds déséquilibres sociaux qui se sont exprimés, de manière quasi-obscène, dans la répartition démographique de la mort". La société péruvienne se caractérise toujours et encore par la discrimination et l'exclusion sur une base ethnique et de genre ; la société péruvienne continue d'"offrir" des conditions totalement disproportionnées dans l'accès au système éducatif national, aux possibilités de mobilité socio-économique.
L'occasion se présentait à l'État de se légitimer en payant sa dette à sa société. Il se devait de prendre les réformes institutionnelles indispensables à une authentique réconciliation. Il lui fallait assurer une convergence culturelle, symbolique des formes de mémoire et de valeurs qu'un pays démocratique uni parvient généralement à partager. Cela ne s'est malheureusement pas accompli : peut-être parce que les conditions minimales à l'instauration d'un débat d'idées ne sont pas réunies, peut-être parce que la presse manque des qualités nécessaires à la mise en place d'une véritable communication, peut-être à cause de la faiblesse et le peu de conscience étatique du personnel politique. Les élections de juin 2011 l'ont démontré : on a l'impression que tout reste encore à faire ; les électeurs n'ont pas voté pour un projet qui les aurait enthousiasmés et aurait assurer une adhésion pleine ; ils ont voté contre deux formes de mémoire, l'une atrocement réaffirmée, l'autre plus ou moins dissimulée sous les oripeaux d'un nationalisme incertain. Est-ce une raison pour perdre l'espoir ?