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Le Syndrome de Peter Pan
Comédienne depuis quinze ans, chanteuse depuis dix ans, Elisa Tovati sort le 20 juin prochain son troisième album, Le Syndrome de Peter Pan, dans lequel elle évoque frontalement et avec une troublante sincérité ses états d’âme actuels.
Beauté brune à la voix suave et sensuelle, Elisa est arrivée en 2002 dans le panorama de la chanson française telle un Ange Etrange. Un ange qui, quatre ans plus tard, se métamorphosait en petit démon avec un album réjouissant, espiègle et primesautier dont le titre là aussi annonçait la couleur : Je ne mâche pas les mots… Que s’est-il passé depuis dans sa vie, quels problèmes, soucis et déceptions a-t-elle rencontrés pour nous révéler ainsi une profonde mélancolie doublée d’une véritable défiance vis-à-vis des clichés que véhicule son image indéniablement glamour ?
Elisa Tovati a, apparemment, tout pour être heureuse. Dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Son baby blues (si baby blues il y a eu) date aujourd’hui de deux ans et demi, il doit être considérablement estompé. Ce n’est donc pas de ce côté qu’il faut fouiner pour savoir d’où vient cette foutue mélancolie… A mon avis, il faut chercher du côté de l’enfance et de ses origines pour obtenir une ébauche de réponse. Elisa a du sang slave dans les veines. Elle peut donc passer sans transition de l’euphorie à la tristesse la plus sombre. En plus, quand on l’écoute et qu’on essaie de comprendre entre les lignes, on perçoit en elle un certain mal-être chronique. Mais pour en savoir plus, il faudrait fouiller et jouer au psy, ce qui n’est tout de même pas le but d’une interview sur la sortie d’un album.
Justement, parlons-en de cet album…
Dès la première écoute, il apparaît que Le Syndrome de Peter Pan est remarquablement écrit et superbement réalisé. Aucune des douze chansons n’est mièvre et banale. Et même si certains thèmes sont abordés plusieurs fois (l’enfance, l’amour, la dure réalité de la vie…), chacune possède son propre cachet et sa propre couleur… Si on a généralement tendance à attribuer le syndrome de Peter Pan aux garçons en raison du livre de J. M. Barrie, il arrive tout autant aux filles d’appréhender de passer à l’âge adulte. Adieu l’innocence, adieu l’insouciance et, surtout, adieu les rêves. La vie n’est pas un conte de fée, et ce foutu Prince Charmant a plutôt tendance à rester une illusoire abstraction.
Dans ses chansons, coécrites avec Bertrand Soulier, Elisa ne se voile pas la face et ne fuit pas la réalité. Au contraire, elle se la coltine de plein fouet. Elle veut bien se fabriquer de vagues illusions, mais elle n’est jamais dupe. Elle n’a pas le choix : il faut monter sur le manège tout en sachant que ce sont des montagnes russes et qu'on va avoir des hauts-le-coeur. Elle a beau voir « les hommes avec les yeux d’un enfant », elle ne tombe pas dans l’angélisme. Elle sait qu’un jour le jouet va soit se casser, soit perdre de son attrait en raison de l’usure du temps. Le temps qui revient souvent dans ses propos. Pas agréable, pas facile de grandir et de vieillir. A l’instar de sa chanson La vie devant soi, elle se fait adepte de la méthode Coué pour tenter de se convaincre que le bonheur existe, qu’il faut y croire. Même si… Même s’il faut pour cela se réfugier dans la superstition et les grigris. Et elle s’oblige à imaginer une happy end du côté de Sunset Boulevard.
La chanson où elle se livre sans doute le plus est La fille dans la glace. Elle y parle de sa relation avec son propre reflet. L’image que lui renvoie son miroir, celle que les gens ont d’elle dans les pages des magazines ou dans la rue, n’est pas celle de la vraie Elisa. Comment se débarrasser de ce double qui vous interdit d’être vous-même ? C’est carrément schizophrène. Elle a beau se dire, et essayer de nous dire, qu’elle est « mieux que ça », c’est l’image qui reste la plus forte. On n’a pas le temps de s’arrêter pour découvrir le moi profond des gens. Surtout quand leur métier est d’être en vitrine. On passe devant sans même penser que le plus beau, le plus intéressant, le plus riche, se trouve à l’intérieur.
Elisa Tovati ne nous fait pas le coup de la « pauvre petite fille riche », elle a trop de pudeur, trop de dignité pour ça. Et aussi trop d’humour et d’autodérision. Le sourire est certes teinté de mélancolie, mais dans le regard brûle une petite flamme bien vivante, bien ardente. Et ce n’est pas l’irruption d’une larme (Penny Lane), qui va l’éteindre.
Bref, Elisa Tovati est une belle femme et une belle âme. Elle ne se la raconte pas. Ce n’est pas parce qu’on présente toutes les apparences du bonheur que l’on est forcément heureux. Il faut ouvrir l’enveloppe pour prendre connaissance du message. Cet album, si intime, si personnel, nous la rend encore plus proche de nous et, partant, encore plus attachante.