Dans une longue interview accordée au quotidien Le Jour, Alexandre Song passe en revue l'actualité récente, concernant principalement ses relations avec l'équipe nationale du Cameroun. Sans (trop de) langue de bois, le joueur d'Arsenal dit ses vérités. Résumé et commentaire :
Concernant ses récents forfaits, il précise que ceux-ci sont dus à des pépins physiques bien réels, et il donne des références assez faciles à vérifier. On lui accordera donc un quitus sur ce point.
Son bannissement de l'équipe nationale en revanche semble lui rester encore en travers de la gorge. Le joueur se sent toujours victime d'une injustice : celle d'avoir dû assumer, avec "certains autres" le rôle de bouc émissaire. Beaucoup de choses ont été dites à propos de ce dossier, mais on n' a jamais entendu la parole officielle là-dessus. L'abcès a été recouvert alors qu'on aurait dû le crever tout de suite. Comment s'étonner dès lors que des miasmes méphitiques continuent d'émaner du groupe Lions Indomptables ?
Alexandre Song met le doigt sur un point qui a déjà été évoqué sur cet espace : comment comprendre qu'un conflit s'éternise entre des jeunes alors qu'ils sont entourés d'aînés ? La plupart des joueurs professionnels ont été confrontés dès l'âge de 10 ans à la pression, raison pour laquelle ceux qui réussissent sont souvent de forts tempéraments. Au sein des Lions Indomptables, nous avons ainsi un certain nombre de sacrés spécimens : Samuel Eto'o, Benoît Assou Ekotto, Stéphane Mbia, Achille Emana, Idriss Carlos Kameni et Alexandre Song lui-même. D'ailleurs, il ne faut surtout pas se laisser tromper par les apparences débonnaires de certains autres joueurs, y compris les plus jeunes : on n'arrive pas à ce niveau sans avoir montré du caractère et un mental fort.
Etant donné qu'on ne peut censément pas prétendre éliminer les conflits au sein de n'importe quel groupe humain, encore moins d'un rassemblement de sportifs de haut niveau, quelle est la seule solution valable ? Etablir des règles claires pour prévenir les affrontements, et gérer les problèmes dès lors qu'ils sont posés. Or, le football camerounais se meurt justement d'un manque de leadership de ses dirigeants. Le président de la FECAFOOT a depuis longtemps disparu des radars. L'équipe dirigeant qui l'entoure ne vaut guère mieux. Les anciens joueurs ont déçu dans leur rôle de médiateurs. La classe politique est on ne sait où. La presse, à quelles exceptions près, cherche surtout le détail "croustillant". Pour dire la chose en peu de mots, les jeunes gens qui composent le groupe "Lions Indomptables" sont abandonnés à eux-mêmes.
D'ailleurs, Alexandre Song confirme en filigrane une intuition que les plus lucides ont déjà pu avoir : non seulement ces jeunes gens n'ont pas été entourés, mais en plus ils se sont retrouvés en train de devoir assumer des responsabilités qui les dépassent. C'est la substance de ces propos : "[...] je pense que [Samuel Eto'o] a été livré à lui-même, je dirais même abandonné. Tout le monde s’est effacé comme si personne d’autre n’avait de responsabilité dans cette équipe et ce qui devait arriver est arrivé. Il est très loin d’être le seul à blâmer, si tant est qu’on en soit encore là."
Il y a donc clairement un ascendant pris par Eto'o dans le groupe. Doté de la personnalité qu'on lui connaît et victime d'une soif de reconnaissance qui vient sûrement des injustices qu'il a lui-même subies en Europe depuis le début de sa carrière, le capitaine des Lions Indomptables a occupé l'espace laissé vacant par des dirigeants paresseux qui pensent que leurs fauteuils sont des hamacs. Evoquant sûrement Eto'o, Alexandre Song évoque "des brimades, intimidations et autres frustrations" et "une forme de pression inutile et nocive".
Même sans avoir été au sein de la tanière en Afrique du Sud et lors des rassemblements qui ont précédé la compétition, tous ceux qui ont déjà vécu dans un groupe enfermé et sous pression savent que ce genre de phénomènes est appelé à se produire. C'est pourquoi les encadrants sont formés à la gestion des conflits. Nous sommes donc en présence d'une ambiance de groupe progressivement dégradée parce que les personnes chargées de l'encadrement ont manqué de charisme.
Car, au fond, Samuel Eto'o est un jeune homme de 30 ans. Alexandre Song en a 24. On trouve dans ce groupe des joueurs qui ont à peine 19 ans. En somme, un groupe de jeunes adultes, mais jeunes tout de même. Inutile d'attendre qu'un tel groupe se régule tout seul. La question demeure : où étaient, et où sont les adultes chargés de gérer ces jeunes gens ?
On a déjà évoqué la paresse et l'incompétence avérée de certains dirigeants. Voici un autre aspect du problème : l'argent. Dans le contexte camerounais actuel, le statut social ne dépend que de la fortune personnelle. Ainsi, nos dirigeants ne voient pas en ces joueurs des jeunes qu'il faut encadrer, mais des multimilliardaires qu'ils côtoient pour le meilleur et pour le pire. C'est ainsi qu'on peut entendre de respectables vieillards appeler Samuel Eto'o "Papa Eto'o". Cette cupidité de larbins est l'une des pelles qui ont creusé la tombe du football camerounais. Tant qu'elle durera, les problèmes continueront, quels que soient les joueurs qui arrivent, car les moins bien payés de nos footballeurs professionnels gagneront toujours chaque mois quatre années du meilleur salaire mensuel au Cameroun, et cela n'est pas près de changer.
Pour revenir à l'interview d'Alexandre Song, le mérite de ce jeune joueur est de ne pas chercher, une nouvelle fois à nier le conflit et à endormir le lecteur en lui faisant croire que tout va bien. Il était temps ! Qui se souvient que l'Equipe de France et celle du Cameroun ont connu des incidents en Afrique du Sud, quasiment à la même période ? Depuis, la France a réuni ses troupes, mis le conflit sur la table, et elle est en voie de rémission. Au Cameroun, rien n'a été fait. Alexandre Song a donc raison de dire que nous avons perdu une année. Il aurait pu ajouter que nous perdrons plus : deux phases finales de la CAN, dont une se jouera à 100 km de Douala et de Kribi.
Une fois le conflit confirmé, il faut reconnaître que le joueur montre une grande maturité, en reconnaissant d'abord que Samuel Eto'o, en tant que joueur, est l'un des tous meilleurs au monde. Puis en rappelant que, néanmoins, le rendement de n'importe quel professionnel dépend autant de son talent que de son environnement de travail. Or, l'environnement des Lions Indomptables ne permet pas à Eto'o de livrer une performance optimale, ainsi qu'on a pu le constater. Que Samuel Eto'o soit lui-même à l'origine d'une grande partie du problème, pour avoir pris plus de place qu'il ne fallait, c'est évident. Mais, comme le dit Alexandre Song, "les dirigeants sont responsables par définition." C'est donc à eux de répondre (c'est le verbe qui a donné le nom "responsable"), et on ne les a pas réellement entendus jusqu'ici.
Enfin, Alexandre Song se déclare disponible à servir son pays. Ce jeune joueur a montré depuis la CAN 2008 qu'il était l'un de nos meilleurs atout, grâce à son talent et à son engagement. Pour rester cohérent avec lui-même, il a refusé récemment de serrer la main que Samuel Eto'o lui tendait. Aujourd'hui, il tend la main au public et aux supporters. Il faut se rappeler que Javier Clemente, alerté en tant qu'encadrant du groupe lors de l'incident de l'hôtel Mont-Fébé, s'était défaussé. Il faut se rappeler que les aînés de ces jeunes joueurs n'ont jamais rien fait pour les réconcilier. Il faut se souvenir qu'aucun médiateur n'a émergé au sein du groupe pour calmer le jeu. Et il faut se rendre à l'évidence que personne au Cameroun ne semble capable d'amener Eto'o à échanger la kola avec ses frères.
On peut refuser de lire et d'écouter, et si on écoute et lit, de comprendre. On peut continuer à entretenir la bagarre pour tirer profit du spectacle, car rien n'apporte autant de lecteurs et de clics qu'un conflit bien sanglant. On peut décider que le coupable c'est Eto'o, et s'acharner sur lui parce que taper sur un homme ayant du caractère donne l'illusion qu'on en a soi-même. On peut continuer à attendre que les dirigeants de la FECAFOOT ou que les anciens joueurs interviennent.
On peut aussi accepter la main tendue d'Alexandre Song et envoyer à ces jeunes gens un message clair : qu'ils se parlent entre eux et qu'ils vident cette querelle. Qu'ils mettent ensuite en place de nouvelles bases marquées par le respect mutuel.
Ils en sont capables. Espérons qu'ils le fassent.