La situation en Syrie illustre parfaitement les limites du pouvoir des modes de communication citoyens, rendus possibles par le développement d’Internet. Et l’incertitude dans laquelle ils maintiennent le public, privé du rôle essentiel des journalistes.
Les blogs, les pages Facebook, ou les comptes Twitter sont souvent présentés comme des nouveaux modes de communication qui soutiennent les changements radicaux dans des régimes arabes ossifiés. Et en Syrie, où la présence de journalistes étrangers est limitée, la majorité des informations qui viennent de ce pays sont communiquées à travers ces nouveaux supports. Ils décrivent un pays secoué par un mouvement de contestation, et confronté à la répression brutale d’un régime tyrannique. Des courtes vidéo filmées par des téléphones portables sont téléchargées sur des sites comme YouTube. Des militants souvent anonymes ou usant de noms d’emprunt diffusent sur des pages Facebook ou des comptes Twitters des messages relatant des évènements dont ils affirment avoir été témoins. Le régime de Damas, qui contrôle les médias classiques, utilise lui aussi, lorsqu’il y voit son avantage, ces méthodes plus directes de communication.
Mais dans ce récit sans journaliste, les déformations et les manipulations sont singulièrement facilitées. L’exemple d’un blog tenu depuis des semaines par une personne se présentant comme une militante homosexuelle l’illustre bien. Les internautes avaient pu suivre en direct le combat et les peurs de cette jeune femme qui se présentait sous le nom d’Amina Abdallah Arraf. Elle avait raconté notamment comment son père avait trouvé le courage de s’opposer à des agents de sécurité, venus interroger sa fille et l’humilier pour ses choix sexuels. Selon des témoins non identifiés, cités par la presse, elle aurait été arrêtée le 6 juin par la police politique. Et depuis plus personne n’a entendu parler d’elle. Mais la curiosité des journalistes s’est, en quelque sorte, réveillée, et une enquête, dont le New York Times décrit les détails, semble indiquer que cette jeune femme n’a jamais existé et que l’ensemble de ce qui était écrit sur son blog « A Gay Girl in Damascus » était le fruit de l’imagination. Mais de l’imagination de qui? Etait-ce une manipulation du pouvoir pour discréditer la communication souvent anonyme et toujours invérifiable d’Internet? Etait-ce une manipulation dirigée contre le régime pour illustrer de façon romancée la lutte que les jeunes syriens ont engagé contre le pouvoir?
Cette épisode souligne combien le rôle des journalistes classiques est déterminant pour établir les faits, et permettre ainsi au public de se forger une opinion en toute connaissance de cause.
Mais un autre épisode, concernant encore la Syrie, est venu démontrer que même le truchement de journalistes n’est pas suffisant pour éviter les manipulations. Encore faut-il que ces journalistes appliquent avec diligence les règles qui structurent leur métier, et qui en font une profession indispensable. La chaine d’informations en continu France24 a diffusé le 7 juin un message enregistré d’une femme présentée comme l’ambassadrice de Syrie en France. Elle annonçait qu’elle condamnait la répression dans son pays, démissionnait de son poste et rejoignait la rébellion. Cette information a été reprise par les agences de presse et par des journaux, sans qu’elle soit vérifiée. Plus tard, la véritable ambassadrice syrienne Lamia Shakkour a démenti devant les caméras d’autres télévisions avoir jamais fait cette déclaration.
Cette suite d’évènements, de l’information à son démenti, met en relief toute une série de maladresses ou d’erreurs commises par des journalistes, qui remettent en cause la crédibilité de ce métier. Personne n’a su ni pu vérifier que la voix enregistrée était celle de la diplomate. Personne n’a obtenu de l’ambassade de Syrie à Paris ou du ministère des Affaires Etrangères français un commentaire permettant d’avérer ou de relativiser cette information, pourtant majeure puisqu’elle aurait été le premier ambassadeur syrien à faire défection. Personne non plus n’a douté un seul instant qu’un diplomate syrien puisse prendre ce genre de décisions, sans mettre immédiatement en danger les membres de sa famille restés en Syrie.
La Syrie est peut être à feu et à sang. Le peuple syrien s’est peut être soulevé. Et le régime est en train de commettre un massacre. Peut être. Mais le souci de vérité oblige les journalistes à dire de façon claire ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas. Ce dont ils sont certains et ce dont ils doutent.
The Lede, New York Times
Financial Times, Opinion
Financial Times, Roula Khallaf