Ce qui distingue Bourguiba de la majorité des hommes politiques arabes et musulmans contemporains qui ont eu à réfléchir, à un moment ou un autre, sur l’apport de l’Islam à la libération de leurs pays, c’est d’abord la clarté et la profondeur de la vision bourguibienne en la matière. Contrairement à beaucoup qui ont eu, au cours de leur itinéraire politique ou intellectuel, à se poser la question qui se rapporte à la validité et à la pertinence des valeurs propres à l’Islam, Bourguiba est le seul à avoir accordé à ces valeurs une importance stratégique qui dépasse de loin le caractère tactique et politicien.
Témoigne de cette dimension stratégique de la vision bourguibienne de l’Islam le fait que la référence que cette dernière fait aux valeurs islamiques, remonte aux années quarante et son recours à l’Islam comme moyen de résistance à l’assimilation date du début des années trente.
Malgré certaines lectures « occidentalisantes » du message et de l’action bourguibiennes qui interprètent ce message uniquement en termes de « rationalisme », de pragmatisme et de laïcité, il s’avère, aujourd’hui de plus en plus fondé et de plus en plus juste de comprendre et de faire comprendre à nos jeunes générations le message de Bourguiba, au-delà de sa récupération, en tant qu’idéologie de pouvoir, par le Parti Destour, comme volonté de promotion de la renaissance de l’Islam authentique. A ceux qui– parce qu’ils n’ont qu’une vision partielle ou partisane de l’approche bourguibienne verront dans ces propos un discours de circonstance et de propagande également partisane, nous leur proposons de lire et de méditer deux textes importants de Bourguiba. Deux textes, parmi tant d’autres.Le premier est celui constitué de larges extraits d’un discours prononcé le 8 février 1961 et dans lequel Bourguiba analyse les fondements réels qui font de l’Islam, non pas « une religion », c’est-à-dire un dogme comme les autres, mais une approche véritablement rationnelle de l’histoire et une vision équilibrée et équilibrante de l’existence humaine. Une approche qui explique, par exemple, pourquoi Bourguiba a toujours rejeté la notion marxiste de la lutte des classes, tout en utilisant le terme de « classe ouvrière » ou « classe laborieuse ».
L’unité de la Nation, idée centrale de la stratégie de Bourguiba se révèle à l’analyse objective n’être que la traduction actuelle de l’unité de la Umma au sens « Communauté de musulmans ».
Le second texte est une interview, accordée par Bourguiba à l’organe de l’UDMA « La République Algérienne », au lendemain de sa participation au Congrès Islamique, tenu en Avril 1951 à Karachi, nous reproduisons un extrait se rapportant à la question qui était déjà bien avant l’Indépendance, au centre du débat qui secoue le monde islamique aujourd’hui. Celle qui consiste à rechercher les meilleures voies pour donner, aux musulmans, les moyens de se développer, tout en restant fidèles à eux-mêmes.
Nous faisons remarquer, toutefois, que, dès le départ, Bourguiba avait donné à son action pour l’actualisation de l’Islam (dont dépend sa véritable pérennité) la dimension d’une bataille et d’une lutte continuelles qui peut durer des dizaines d’années. La bataille pour la libération de l’Islam.
Naceur Ben Cheikh. (In l’Hebdomadaire Dialogue du 23.11.87)