Guernica, Pablo Picasso.
Et puis, Jorge est mort!
Cours Dupré de Saint Maur, prés de la base sous-marine il reste des pavés. Le vieil homme traverse le pont de métal qui enjambe le pertuis entre les deux bassins. Il se souvient des années jeunes. Il se souvient qu’il fut, soldat de la jeune république Espagnole, chassé de Guernica par les balles de Franco et les stukas d’Hitler sous le regard impassible de l’Europe. Il se souvient qu’il passa deux hivers au camp d’Argelès à regarder mourir des enfants, des femmes et des vieillards. Chaque mort était une solution au problème encombrant le gouvernement de la troisième république, accueillant et généreux, fournissant les pompes plantées à quelques mètres de la mer les abreuvant d’eaux salées et leur permettant de dormir sous des abris indignes et précaires enroulés deux à deux dans des couvertures entre la gale et les poux. Il se souvient des paysans qui venaient choisir les survivants, fouillant dans les bouches au marché aux esclaves, tâtant les muscles des plus robustes de cette main d’œuvre gratuite. Il se souvient des deux années qui suivirent passées à la construction de la base sous-marine et des coups de crosse des gendarmes français le matin à 3 heures au camp de Saint-Médard en Jalles, puis des 12 heures de travail aux ordres des maitres d’œuvre nazis et sous les bombes alliés intervenant juste un peu tard. Il se souvient de la libération, pas pour tout le monde. Il se souvient des passeports et des menaces à peine voilées pour les candidats au retour. Rien n’a vraiment changé pour les bannis. L’exil, la traversée, des Pyrénées, des Alpes ou de la méditerranée, et pour ceux qui survivent, l’espoir au mieux d’être parias et sans papiers ici, étrangers là bas sur leurs terres natales. Je sors de la base sous marine où vient d’être projeté en avant première le film de Cécile Alcazar « Petite rue de Saintonge » bientôt à l'Utopia. Franco ou Mussolini avaient lancé cette mode des petits métiers : « Rempart contre le communisme » validée par le monde libre et aveugle autorisant toutes les futures dictatures des Somoza, Videla, Pinochet et consorts. Rien ne bouge, alors "qu’on sort" à peine de cet autisme pour aussitôt les remplacer par celles des : « Rempart contre l’islam »autorisant etc, etc ….. Il reste des pavés cours Dupré de Saint Maur et dans les pas du vieil homme aujourd’hui disparu, je passe sur le pont du pertuis à coté de la vieille écluse. Je me souviens de C., instituteur là-bas maçon ici, que nous visitions le dimanche. J’ignorais ce que nous faisions-là et j’apprenais à lire dans les pages de « L’humanité » les bonnes feuilles de « Pif, le chien » et de « Prince Valiant » tandis que les grands parlait avec des voix basses de conspirateurs. Je relève mon col frissonnant de froid ou d’effroi rétrospectif : j’aurais pu devenir communiste. J’ai hérité du Solex de C. et je suis résistant…au chaud et froid.
Elliot, le chien, renifle les plantes rudérales, ces fleurs de pavé capables d’écarter les pierres pour que vive la vie. Les émigrés, les exilés et les bannis sont ces plantes rudérales et désormais nous élisons en alternance des poseurs de pavés sortis des urnes qui changent d’avatars pour exploiter la détresse avec quelques variantes. Rien ne change! Il y aura toujours des pavés pour écraser l’espérance. Il y aura aussi et toujours des fleurs de résistance. Les fleurs de ceux qui se taisent, de ceux qui chantent, de ceux qui écrivent.
Et puis Jorge Semprun est mort.