Les X-Men et moi, on n'a jamais été très copains. Lacune culturelle de ma part, ou bien ratage cinématographique d'autre part, les mutants n'ont jamais réussi à me convaincre, malgré quelques séquences spectaculaires dans les X-Men 2 & 3. Pourtant, la révolution, côté adaptation de comics, est en marche depuis quelques années, comme si la grande industrie du cinéma avait enfin assimilé le concept selon lequel pour faire honneur à l'esprit des comic-books, le spectacle seul ne suffit pas. Il faut aussi un peu de profondeur, et pas mal de psychologie, pour garder emblématiques des personnages parfois tombés en désuétude. Après les succès tant critiques que publics de Watchmen (Zack Snyder), Batman (Christopher Nolan) ou encore Iron Man (Jon Favreau) - pour ne citer que les meilleurs - c'est au tour de Matthew Vaughn de hisser son adaptation au rang des meilleures avec X-Men First Class, relançant ainsi la saga dernièrement mutilée par un Wolverine déplorable.
La mode est aux reboot. Procédé plus marketing que créatif, dont les producteurs n'hésitent pas à user pour relancer un produit proche de la date de péremption en en changeant la dernière recette en date, au détriment des fans, le plus souvent. Parfois, néanmoins, c'est un mal pour un bien. A l'image de ce First Class qui aurait pu souffrir de l'ombre de ses prédécesseurs, mais qui en fait finalement table rase, sans pour autant s'en affranchir complètement (il ne garde que le meilleur). Aux oubliettes les adaptations de Bryan Singer, Gavin Hood et autres Brett Ratner. Matthew Vaughn reboot avec classe. Exit les lourdeurs scénaristiques, les dialogues risibles, les personnages approximatifs, les enjeux insipides. En remontant dans le temps, X-Men s'offre un incroyable lifting, ironiquement, et met en lumière les deux pères fondateurs de ce microcosme mutant: les iconiques Charles Xavier (Professeur X) et Erik Lehnsherr (Magneto).
Jusqu'ici, mis à part Wolverine, on ne peut pas dire que les personnages de la saga aient été traités "dans le détail". Cet opus s'attache à réparer cette lacune avec une plongée dans la jeunesse de ceux qui deviendront le Professeur X et Magneto. Véritable point de mire du film, focalisant toute l'attention au détriment, parfois, d'une intrigue sous-jacente bien plus consistante qu'à l'accoutumée, les débuts de Charles et Erik lors de l'émergence de cette classe mutante, les balbutiements de leur relation complexe sont, ici, développés avec beaucoup de finesse. Et dans les deux role-lead, James McAvoy et Michael Fassbender explosent. Campant parfaitement les deux antagonistes, l'un distillant nonchalance, charme, enthousiasme et altruisme quand l'autre véhicule peine, haine, esprit de vengeance et amertume, ils mettent au diapason non seulement les bases de la saga, mais également l'émergence de leur amitié contrariée. Profonde, troublante, leur relation (crypto-gay?) fratricide retourne, passionne, fascine. Parfaitement complémentaires, et pourtant profondément antithétiques, ils édifient et cimentent l'ensemble du récit avec brio, qui, par ce biais, gagne en épaisseur.
Parce que ses personnages sont mieux définis, plus habités, plus creusés, Matthew Vaughn a l'opportunité de soulever nombre de problématiques en filigrane de son intrigue principale. L'une d'elle, la plus saisissante sans doute, est celle qui s'interroge sur la destinée, le libre-arbitre orienté par le passé, le devenir de chacun par rapport à son vécu. Le paradoxe le plus frappant, là encore, repose sur les personnages de Charles et Erik, à travers lesquels luttent les notions de bien et de mal. Alors que l'un, qui n'a jamais manqué de rien, élevé comme un prince, à l'écart de ce que la vie a de cruel, devient quelqu'un de profondément altruiste, tourné vers les autres, compatissant et mesuré, l'autre, que le sort n'a pas épargné, frappé par les horreurs de la seconde guerre mondiale, nourrit de sombres desseins, prenant peu à peu le chemin de celui qui fut son bourreau et dont il entend néanmoins se venger avant de faire siens les préceptes de son ennemi. Un constat dont la noirceur participe à la profondeur du récit.
L'autre très belle réussite de ce X-Men First Class, c'est son contexte temporel très etoffé. A l'instar de Watchmen, on retrouve ici une uchronie ancrée dans les années 60, qui emprunte à l'époque symboles politiques (JFK), culturels (esprit 007) et vestimentaires, notamment à travers les femmes, très court vêtues, et le personnage de Sebastian Shaw, campé par un Kevin Bacon impeccable. Le gros coup de coeur revient aux panoplies de ces premiers X-Men, un rien kitsch, mais infiniment plus emblématiques. L'iconographie déployée est soignée, l'intrigue parsemée de détails politiques réels réadaptés (crise des missiles de Cuba) à la fiction (une troisième guerre mondiale initiée par les mutants, dans l'ombre), le tout appuyé par des images d'archives. C'est subtil, efficace. Suffisant.
Pour une fois, les personnages secondaires, dans leur grande majorité, sont bien plus développés que dans les précédents opus. On pense notamment à Mystique et Le Fauve, plus fouillés, qui illustrent l'autre pan majeur du film: l'acceptation de soi, de sa différence, du regard des autres, l'intégration à la société, le désir d'être "normal". Et si certains autres, comme Azazel, manquent de présence parce que trop silencieux, on est loin du sentiment de vacuité latente qui handicapait le reste de la saga.
X-Men First Class a beau être plus fouillé, il n'en demeure pas moins un blockbuster efficace, qui n'oublie pas de divertir. Touches d'humour en pagaille (le cameo de Wolverine est anthologique), clins d'oeil (création du Cerebro...), légèreté ambiante concurrençant les aspects plus sombres du film... Si le spectacle est moins dense, il est plus qualitatif. On est loin d'un déluge d'effets spéciaux stériles. Ici, ils servent quelques scènes bien senties, sans outrance, qui marquent les esprits, que ce soit la confrontation de Erik à certains de ses tortionnaires ou la séquence, intense, de l'attaque des missiles, sur la plage.
Prenant, dense, X-Men First Class assure un divertissement de qualité, qui interpelle par sa facture impeccable, sa richesse et son interprétation. A peine peut-on lui reprocher quelques raccourcis qui, à n'en pas douter par la fin ouverte, seront compensés dans deux vraisemblables suite, qui devraient être assurées par Matthew Vaughn, fourmillant d'idées pour une nouvelle trilogie. Des suites que j'attend avec une impatience infernale.