Prenez le Manchester d’Oasis. Il sent la boisson alcoolisée, la baston de quartier, la misère et l’envie d’en découdre. Ajoutez-y une pointe de violence et vous pourrez alors suivre le cœur même de la fameuse mafia de Manchester. A Very British Gangster, c’est un peu l’équivalent de la série du Parrain dans les ougthies. Le tout transposé sans la moindre mise en scène, sans la moindre indication de dialogue. J’ai décidé de me mettre à la place du journaliste qui le suit pour raconter ce Dominic Noonan. Pas aussi sympa qu’il en a l’air.
Partout. Où qu’il allait, quelque soit l’endroit, quelque soit la raison, je l’ai suivi. Des plans rapprochés, des plans larges, des travellings à foison ou encore des plans qui montaient pour prendre de la hauteur. Mais la majeur partie du temps, ma caméra a plongé. Elle a plongé dans les méandres d’une ville de Manchester gangrenée par les gangsters, Dominic Noonan en tête. Pendant plusieurs mois, j’ai été au cœur de son réseau, de son quotidien, du moindre de ses actes, fussent-ils violents et hors-la-loi. Ma caméra était là pour enregistrer, témoigner de cette organisation criminelle qui pouvait avoir plusieurs visages. Celui de la sympathie, celui de l’entraide. Tout autant que celui du meurtre, de la haine, de la drogue.
Lorsque je l’ai rencontré, tout semblait rose et parfait de mon point de vue. J’étais face à un type bien portant surnommé Dom me présentant, avec un grand sourire, sa famille, ses neveux, ses cousins. Un gangster pas patibulaire pour un sou, dont la reconversion dans la sécurité forçait le respect. D’ennemi de la société, il semblait avoir retrouver le chemin de la droiture et de la respectabilité en se faisant un devoir de protéger la communauté. Comme pour se racheter une image. Comme pour vouloir tuer dans l’œuf l’homme qu’il était.
Pourtant, les premières informations que j’avais sur lui remontèrent très vite : 22 ans de prison dans 27 pénitenciers différents avec une mutinerie désormais célèbre à son compte. Je décidais alors de gratter cette image un peu trop lisse qu’il essayait de se donner et ces « cinq à six millions de livres » engendrés au fil des braquages de blindés. Il me fallait aller au-delà de ces costumes gris et noirs que lui et ses gorilles, la plupart de sa famille, portaient sur la musique de Pulp Fiction. Et qu’elle ne fut ma surprise lorsque ce fut Dominic, en personne, qui me permit de mieux comprendre le système dont il était le maître. Il me parla, ouvertement, de sa dure enfance, de son homosexualité et de l’origine de son attrait pour le crime et la violence lorsqu’il était videur, la vingtaine à peine dépassée. Sans tabou. Et les évènements firent le reste.
J’étais face à une famille, et plus particulièrement à des enfants, qui avaient avant tout un nom : la famille « Nooman », empreinte de fierté et de respect, 85 années cumulées de prison au compteur. Certains essayent de devenir acteur. Ou chanteur. Comme ce Sean qui écume les bars, les mariages et, surtout, les acquittement de son oncle, en chantant du Frank Sinatra ou du Elvis Presley. Ce Sean, il me fait penser à un des personnages du Parrain, le fameux film de Coppola. Un neveu acteur qui profite de la corruption et de son parrain pour avoir un rôle dans une production Hollywoodienne. Le temps de mettre une tête de cheval dans le lit du producteur en quelque sorte. Bugsy, le fils de Dominic, l’héritier du trône et pure produit de son père, était aussi tout un symbole. Il représentait l’avenir de la communauté criminelle orchestrée par Dominic, prêt à reprendre les armes. Ou à devenir boxeur ou footballer. Mais dans ces murs de misères, les rêves sont vite oubliés.
De ces murs rouge brique de Manchester, j’ai conduis de nombreuses fois Dom aux différents tribunaux où il était convoqué. Par trois fois au cours de la production du documentaire, il fut arrêté par la police. Une police britannique qui lui en voulait de toujours lui échapper alors qu’elle savait pertinemment les meurtres et faits qu’il avait commis. Mais, comme à chaque fois, les témoins s’envolaient, des pots de vins glissaient sous la table et tout rentrait dans l’ordre. Même lorsqu’il fut en lien avec le lynchage d’un type poignardé puis ébouillanté, Dominic sans tira grâce à la fuite de huit témoins du pays.
J’étais aussi face à un quartier du Nord – Ouest de Manchester. Sinon toute une ville qui avait affaire à son gangster favori et qui préférait s’en référer à lui plutôt qu’aux poulets. Car au-delà de sa petite entreprise de sécurité qui florissait au détour des habitations, Dom, portable en main, faisait le boulot du flic, de l’assistante sociale et du juge en même temps. Se promenant dans les ruelles défavorisées des quartiers de Manchester, je n’en revenais pas de suivre un gangster remplaçant l’Etat. Raisonnant un homme après le braquage d’un bureau de poste, réunissant un bébé et sa mère et réconfortant une famille agressée par un homme et son marteau, Dominic Lattley Fotffoy n’était pas seulement le Parrain d’une famille, mais celui d’un quartier entier. Comment pouvais-je en être sûr ? En allant aux enterrements des membres de sa famille.
Car à la fin de la production du documentaire « A very British gangster », le frère de Dominic, Desmond, trouve la mort. Connu pour être un tueur en série impitoyable (entre 20 et 30 meurtres selon la police locale), la mort de Desmond me montra de manière on ne peut plus réelle la puissance et la domination de la famille Nooman à Manchester. Une famille qui pouvait dire, face caméra : « We can’t read, we can’t write. But we can count ». Une famille qui pouvait acheter un cercueil en bronze, appeler en pleine messe à la vengeance puis, s’élancer par centaine dans les rues de Manchester.
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