Résumons l’intrigue de Beginners en quelques mots : Oliver (Ewan McGregor), en deuil après la mort de son père Hal (Christopher Plummer) qui avait, quatre ans plus tôt, à 75 ans, fait son coming-out, rencontre Anna (Mélanie Laurent), jeune actrice française esseulée et un peu paumée. Le tout dans un mouvement de va-et-vient entre les deux périodes de la vie d’Oliver : histoire de deuil, d’héritage et de filiation d’un côté, histoire d’amour de l’autre, forcément difficile lorsqu’il y a trop d’attaches à un passé mal digéré. On aurait pu sombrer dans le sentimentalisme, mais pas du tout. Grâce à de petites touches d’humour et d’ironie placées là où il faut, Beginners sait rester de bout en bout un film plaisant et, surtout, absolument pas prétentieux.
Cette mise en perspective, non pas de deux personnages, mais de deux périodes de la vie d’un même personnage, qui plus est de deux périodes contiguës (ce qui limite avec bonheur les ambitions « sens d’une vie »), est menée intelligemment. Les rappels du passé se font au rythme du vécu et du ressenti d’Oliver, sans jamais devenir effets de mise en relation à visée démonstrative, qui seraient orchestrés par un réalisateur avide de pensées « profondes ». Ces deux moments, en réalité, n’en font qu’un seul pour Oliver, qui est encore sous le coup à la fois du coming-out et de la mort de son père. Le passé proche habite le vécu au présent.
Par ailleurs, le thème est amusant, du père qui, à 75 ans, décide de vivre au grand jour son homosexualité, retrouve une nouvelle jeunesse et fait preuve de capacités d’adaptation et de compromis, là où le fils de 38 ans est paumé, peine à s’engager dans une relation amoureuse, embourbé dans ses tourments intérieurs. Le renversement jeunesse/vieillesse est fait tout en finesse, sans caricature, et l’on peut même dire (sans aller jusqu’à encenser à l’excès un film somme toute modeste) que Mike Mills réussit de beaux portraits, d’ailleurs inspirés de lui-même et de son père.
Ce renversement générationnel soutient le propos du film, résumé dans le titre : nous sommes tous des « beginners », des débutants, à tout âge et dans bien des domaines. Car si Hal et Oliver sont attachants, c’est aussi qu’ils sont novices et naïfs dans la rébellion ou dans l’écart, ne se souciant guère ni de rentrer dans la norme, ni de s’en détacher. Hal découvre avec la curiosité d’un gamin les rudiments de la culture gay (le drapeau arc-en-ciel !) pendant qu’Oliver s’adonne un brin timidement au graff sur les murs de L.A.
Comme le réalisateur Mike Mills (connu entre autres pour des clips et des pochettes d’album), Oliver est graphiste, ce qui permet l’insertion de dessins de Mills dans le film, petites vignettes qui ponctuent l’histoire. Ces images un peu naïves, tracées en quelques coups de crayon sur fond uni, pointent les choses du réel, comme en surimpression. Il s’agit de s’emparer d’images frappantes de la vie quotidienne, objets, souvenirs ou métaphores dans la conversation, pour en faire des objets sans doute amusants et rassurants, toujours avec une pointe d’ironie bienveillante, visant les gens qui simplifient leurs problèmes, et ceux qui s’en créent.
Plus généralement, chaque allusion à une période passée est resituée dans l’histoire grâce à des clichés, dans les deux sens du terme : clichés photographiques, typiques d’une époque, de ses idéaux et de la manière dont elle se perçoit, et par conséquent, images stéréotypées. Mais qu’importe qu’il s’agisse de clichés, puisque chaque personnage est, à sa façon, en décalage par rapport à ce mainstream formaté. En 1955, nous dit Oliver, être heureux c’était ça (photo d’une famille tout sourire), les animaux domestiques c’était ça (photo desdits animaux), le Président c’était ça (photo d’Eisenhower) : le procédé est ironiquement enfantin, Mills affichant de façon ludique sa renonciation à se lancer dans la peinture sociologique d’une époque au-delà des impacts qu’elle a sur ses personnages, son désir d’en rester à ce que ces images évoqueront à chaque spectateur. Le processus (trompeur) de simplification du réel trouve également un instrument précieux en la « personne » d’Arthur. Arthur est un chien qui parle, ou plutôt, Oliver se plaît à croire le comprendre. N’ayant que 150 mots à sa disposition, il tient bien évidemment le rôle de l’idiot plein de bon sens qui met le doigt là où ça fait mal, rappelle à son maître les enjeux de sa relation amoureuse, sert de contrepoint aux complications qui ont cours dans la tête d’Oliver : « A quand le mariage ? », lui demande-t-il sans cesse.
Malheureusement, l’histoire d’amour un peu mièvre et moyennement intéressante prend de plus en plus de place vers la fin du film. Mélanie Laurent en fait un peu trop, rit un peu fort et ne joue pas très bien (consolons-nous, c’est moins rageant que dans le grand Inglourious Basterds), mais Ewan McGregor et Christopher Plummer sont très bien, et l’ensemble garde assez de fantaisie et d’originalité, à sa modeste échelle, pour appeler la bienveillance et échapper allègrement au poids des clichés.