Dans le second tome de ses mémoires, Jacques Chirac le décrit « nerveux, impétueux, débordant d'ambition ». Il avoue la défiance que son successeur à l'Elysée lui a toujours inspiré. Dans les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks en novembre dernier, les diplomates américains qualifiaient Nicolas Sarkozy de « susceptible », « relâché », « discourtois », « autoritaire », « impulsif ».
En matière de politique étrangère, ces traits de caractère peuvent être contre-productifs, voire dangereux. La guerre en Libye, la crise en Syrie et le conflit israélo-palestinien nous ont encore fournis trois beaux exemples tous récents.
Sarkozy, leader ?
La politique internationale est l'un des axes majeurs de la « présidentialisation » de Nicolas Sarkozy depuis l'automne. De la présidence française des G8 et G20 à l'intervention occidentale en Libye en mars dernier, le Monarque français fait feu de tout bois pour se donner une stature que les Français lui refusent par sondages et scrutins intermédiaires interposés.
Le 31 mai dernier, son ministre des affaires étrangères ne savait plus comment louer son Monarque : « Je n'ai pas l'habitude de cirer les pompes mais je peux porter témoignage du leadership de Nicolas Sarkozy sur la scène internationale ».
Juppé n'est jamais crédible dans la flatterie. Quel leadership ? Notre président français s'est isolé sur la question nucléaire, refusant d'accorder un quelconque crédit aux inquiétudes relatives à l'ampleur des risques de l'atome. En Côte d'Ivoire, il est allé se contredire en annonçant, voici 3 semaines, que des forces françaises resteraient stationner alors qu'il prônait le désengagement. En Syrie, la Sarkofrance est à la traîne. Au sein du monde arabe, malgré l'intervention en Libye, la voix de la France est toujours affaiblie.
Devant les députés UMP, qu'il invitait une nouvelle fois comme chaque mois aux frais du contribuable à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a loué son action lors du printemps arabe. Masquer la résilience française en Tunisie puis en Egypte par quelques milliers de bombardements en Libye est un peu court.
En France, les questions internationales intéressent peu l'électorat. Il suffit donc de peu d'efforts, d'un story-telling somme toute modeste pour donner l'illusion que l'on fait beaucoup.
Douche froide à Washington
Dans la feuille de route sarkozyenne, le rapprochement israelo-palestinien avait plus que sa place. Barack Obama, juste avant le G8 de Deauville, avait clairement énoncé qu'il était favorable à la création d'un Etat palestinien basé sur les lignes de 1967 avec des échanges de territoire.
Et Sarkozy avait flairé le bon coup politico-médiatique. Juste avant le G8 de Deauville, il avait proposé d'organiser une grande conférence pour relancer les négociations de paix entre Israël et la Palestine. Le spectacle ! Toujours le spectacle !
Alain Juppé avait donc pris son bâton de pèlerin pour convaincre les parties en présence et notamment les Etats-Unis. Il avait obtenu le soutien de Mahmoud Abbas et de Tony Blair. Mais à Washington, ce fut la douche froide. En quittant les lieux pour New-York, le ministre a tenté de rester optimiste, en vain : « les Palestiniens ont réagi positivement, les Israéliens n'ont pas dit non, et la secrétaire d'Etat m'a dit 'wait and see'». Quel succès ! En fait, pas grand monde ne veut de l'initiative franco-française.
Les Américains - et Hillary Clinton l'a clairement dit à Alain Juppé lundi dernier - ne veulent pas de show médiatique, à Paris ou ailleurs, tant qu'un accord entre Israéliens et Palestiniens n'est pas en bonne voie. Il faut « un retour aux négociations, qui demandera beaucoup de persuasion et de travail préparatoire ». Pour Juppé et Sarkozy, c'est la douche froide. Un expert a sobrement commenté : « On assiste à un effet d’annonce médiatique. Il paraît aventureux de pouvoir organiser une telle conférence en si peu de temps. L’attitude de Juppé est imprudente, voire contre-productive.»
Enlisement en Libye
En Libye, la Sarkofrance cherche à nouveau à négocier - si tant est que cette piste ait été jamais abandonnée. On frôle l'enlisement. Nicolas Sarkozy, qui revendiquait, il y a trois mois, l'initiative de cette intervention - Rappelez-vous le « sommet de Paris », le jour même des premiers raids -, a visiblement sous-estimé son ancien allié Kadhafi.
Les raids aériens depuis le 19 mars ont certes protégé la zone rebelle de l'anéantissement. Mais le colonel Kadhafi est toujours là. En début de semaine, des hélicoptères français sont intervenus. Mercredi, des représentants de l'OTAN se réunissaient à Bruxelles. Le secrétaire général de l'Alliance Atlantique, qui est en charge des opérations militaires, réclame un élargissement du soutien.
D'après Europe 1, « les négociations ont déjà commencé avec le colonel et la France est en première ligne dans ces discussions ». Les termes de la négociation sont étonnants et indécents. Il s'agirait de proposer au dictateur libyen de partir avec sa famille se réfugier dans un « grand pays musulman d’Asie », (on devine que l'Indonésie), « un pays qui dans tous les cas n'aurait pas signé de convention d’extradition avec la Cour pénale internationale », de telle sorte que Mouammar Kadhafi « pourrait ainsi échapper à une inculpation pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité» . En février dernier, avant l'offensive onusienne, Sarkozy expliquait pourtant que « les violences répétées et systématiques contre le peuple libyen sont inacceptables, et feront l'objet d'enquêtes et de sanctions ».
Prudence en Syrie
En Syrie, les exactions du régime el-Assad finissent par décourager ses plus fidèles soutiens. On évoque 1000 morts et 10.000 prisonniers. Combien d'enfants morts ? Combien de torturés en gardes à vue ? Une blogueuse connue a été kidnappée. Lundi, les autorités ont exhibé 120 cadavres habillés en soldats dans la ville de Djisr el Choughour. Les habitants craignent désormais un assaut de l'armée syrienne.
Dans les coulisses de l'Elysée, les conseillers du Monarque expliquent qu'il faut être « réaliste ». La Syrie est un pays pivot dans la zone. Ce « pragmatisme » diplomatique, ignoble dans les faits, inefficace dans les actes, a enfin évolué, ... mais a minima. La Sarkofrance est passée de l'indignation facile à la résolution.
Après son échec à Washington, Alain Juppé allait à l'ONU : « La répression ne cesse de s'aggraver et les massacres d'augmenter. Pour nous il serait inconcevable que les Nations unies restent silencieuses face à une telle situation. » Il espère convaincre ses pairs du Conseil de Sécurité de voter une résolution qui condamnera la Syrie... C'est tout ? A priori, oui. C'est tout. Il n'y aura ni sanction, ni embargo. En fin de journée, RFI croyait savoir que la Grande-Bretagne avait trouvé le texte français trop mou et l'avait durci.