Après quinze jours à souffrir, assise par terre dans la salle-de-bains, à regarder mes cicatrices d’automutilation et à en refaire de nouvelles, à manger des céréales sans lait, des pâtes sans rien, à regarder mes médicaments une bouteille d’eau à la main en souhaitant avoir le courage de les avaler tous, ça y est, je peux retourner au centre de santé. On va me soigner, enfin, enfin, enfin, ça fait trois ans que j’attends ça. La lettre que le médecin m’a remise pour la psychiatre est claire, elle parle d’hallucinations, d’angoisse, de neuroleptiques, de suivi psychiatrique, etc… Enfin on me croit. Même ma psychologue me disait que je n’étais pas malade, ce qui n’était pas logique dans mon esprit puisqu’elle voulait que je prenne des médicaments. Et je n’en peux plus qu’on ne comprenne pas, qu’on ne m’aide pas. Je prends des médicaments, j’ai mis le pied dans la psychiatrie, maintenant je ferai tout et n’importe quoi pour aller mieux.
Au centre de santé, une dame m’accueille en disant qu’il y a un problème. Non, non, non, s’il vous plaît, qu’est-ce qu’il y a encore? Elle n’a pas mon deuxième nom de famille. Ah, c’est juste ça. Mais je n’ai ai pas. Il lui en faut un. Mais pourquoi me persécute-t-on avec ce genre de choses? Je ne suis pas espagnole. Elle le sait. Là, je m’énerve un peu. Je n’ai pas de deuxième nom de famille, il n’y a que les Espagnols qui en ont un, et les Sud-Américains, enfin peu importe, le reste de l’Europe n’a pas de deuxième nom de famille, est-ce qu’elle peut comprendre ça? Non, apparemment. Il lui en faut un, sinon elle ne peut pas me prendre de rendez-vous. Mon Dieu, on va me laisser devenir folle ou mourir parce que je n’ai pas de putain de deuxième nom de famille? C’est une blague? Un cauchemar? Ils se sont tous ligués pour ne pas me soigner? Finalement, je lui donne le nom de ma mère en lui disant qu’elle n’a qu’à écrire ça, si elle veut. Ok. Je peux revenir dans quinze jours, j’aurai mon rendez-vous à ce moment-là. Là je ne dis plus rien. Je ne peux plus. Je m’effondre, je meurs devant elle, je n’ai plus la force de rien. Je viens de passer les quinze plus longs jours de ma vie, je pense au fait de recommencer encore cette attente, c’est inimaginable, mais que puis-je faire? Je dois avoir l’air d’une bête traquée, elle ne le voit donc pas cette femme? Est-ce qu’elle laisserait un diabétique sans insuline parce qu’elle n’a pas son deuxième nom de famille, ou laisserait se vider de son sang un blessé grave? Non, bien sûr, mais elle le fait avec moi. Il est marqué urgent sur mon dossier, c’est ça l’urgence, faire attendre quelqu’un un mois pour avoir une date de rendez-vous? L’homme qui est à l’accueil m’appelle gentiment, il m’a déjà vu la première fois, et lui voit bien je crois que je pisse le sang. Je vais te prendre ton rendez-vous, je vais appeler directement l’hôpital, attends un instant. Merci merci merci, c’est mon sauveur. Il téléphone, demande un rendez-vous avec Lucia, c’est mieux, oui Lucia, merci. Et voilà, j’ai mon rendez-vous dans quelques jours. Avec une psychiatre. C’était aussi simple que ça. Je respire. Et puis il a l’air de trouver que Lucia est sympa, gentille, il a pris la peine de la choisir pour moi et d’insister pour que ce soit elle que je vois.
Le jour venu, je me rends à l’hôpital. Je cherche les consultations psychiatriques, mais cet hôpital est un labyrinthe, et moi tellement angoissée que je suis incapable de réfléchir correctement, la panique me gagne, je vais arriver en retard, je tourne en rond. Je demande mon chemin à une infirmière ou une aide-soignante qui tient une vieille femme par le bras, elle ne me répond pas. Peut-être n’a-t-elle pas compris, peut-être a-t-elle peur de moi, qui ait l’air d’une folle complètement paumée qui cherche la psychiatrie. Mais je me sens rejetée, elle n’a même pas pitié de moi qui suis en pleine confusion, et après ça je n’oserai plus demander à personne. Je continue à tourner, et voilà que je tombe sur mon dragueur plus ou moins psychologue, j’ose lui parler et il m’aide à trouver le bon endroit.
Enfin, j’entre dans le bureau de la psychiatre. Et là, horreur, elle n’est pas seule, elle a une assistante avec elle. C’est déjà tellement dur de parler à une personne, de supporter son regard, mais à deux? Tant pis, je dois le faire. Lucia a la voix douce, elle est belle, blonde, mince, mais on voit en même temps que c’est quelqu’un de fort. Elle me touche au coeur quand elle me dit « il faut me raconter ». Quelqu’un se penche sur mes blessures, enfin, et c’est doux. Alors je raconte un peu. Elle se tourne vers son assitante et lui demande « Qu’est-ce que tu crois? » Elle répond « Schizophrénie ».
Le temps s’arrête et mon coeur se brise sous l’effet d’un coup de poing. Le temps est suspendu à ces quelques mots « Que creés? -Esquizofrenia. »
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