Jeudi 2 juin, à
l’occasion de la remise du Prix Charlemagne 2011 à Aix-la-Chapelle, Jean-Claude
Trichet, Président de la BCE (je précise car je soupçonne que ce n'est pas
inutile pour tout le monde) a prononcé un discours
iconoclaste sinon sacrilège qui est passé, comme d’habitude, complètement
inaperçu de notre presse nationale (sauf
là).
Et pourtant !
En résumé, après avoir rappelé en quoi, dans un monde globalisé, l’unité
européenne était plus indispensable que jamais « pour garantir la paix et
la sécurité » et pourquoi l’Union européenne est si « vitale
pour protéger et promouvoir les intérêts des nations qui la composent »,
Trichet vante les mérites de la « réalisation sans précédent dans
l’histoire de nations souveraines » que constitue l’Union Economique
et Monétaire.
Jusque là, rien de bien surprenant.
Puis, et c’est là que cela devient intéressant, il y va de sa vision de ce
que devrait être la gouvernance au sein de l’Union monétaire européenne,
notamment vis-à-vis des pays en difficulté qui malgré les aides de l’Union,
n’obtiennent toujours pas « les résultats attendus » (doux
euphémisme).
Partant du principe, que les interactions entre les membres de cette
communauté sont importantes et que cette interdépendance « signifie
que les États ... peuvent se trouver confrontés à des crises causées
entièrement par les politiques économiques inadaptées menées par
d’autres », il en arrive logiquement à proposer que les autorités
européennes puissent carrément « opposer leur veto à certaines
décisions de politique économique nationale ». Cette compétence
pouvant en particulier concerner « les principaux postes de
dépense budgétaires et les facteurs déterminant pour la
compétitivité du pays ».
C’est la sacro-sainte souveraineté nationale qui se prend un gros coup de
gourdin sur le coin du museau !
De quoi faire hurler tous les souverainistes de France, de Navarre et
d’Europe !
Bien entendu, en évoquant cette possibilité, Trichet pense aux « petits
pays » comme la Grèce ou le Portugal, mais nous savons tous que l’Espagne,
l’Italie voire la France, ne sont pas à l’abri de se retrouver dans une
situation « difficile ».
Or, c’est marrant, mais qu’on empiète sur la souveraineté nationale de la
Grèce ne pose pas de problème à grand monde mais s’il s’agissait d’opposer son
véto à des mesures votées par le parlement français, ça serait la révolution
!
Certes, ce scénario ne se concrétiserait que dans des situations, espérons
le exceptionnelles et uniquement si les autres modes d’assistance n’ont pas eu
l’effet escompté, mais la proposition de Trichet marque clairement une première
marche vers le fédéralisme. D’ailleurs, Trichet poursuit son raisonnement, en
préconisant un ministère des finances européens qui assurerait notamment
« la surveillance des politiques budgétaires et des politiques en
matière de compétitivité ». En clair qui aurait un droit de regard fort
sur toutes les décisions budgétaires d'un pays !
Même en situation de crise, en arriver à mettre sous tutelle un pays,
signifierait clairement une marque de défiance de l’Union Européenne vis-à-vis
des gouvernants du dit pays, pourtant élus par leur peuple. Cela reviendrait
pour ce pays, à se faire imposer, par l’Union Européenne, des décisions
nécessairement impopulaires, en lieu et place de dirigeants réputés incapables
de résister à la pression de ses électeurs ou pire incompétents. Cela pose
évidemment la question de la démocratie.
Pour que l’idée soit acceptée par les peuples, il faut donc qu’elle
s’accompagne d’une révision du processus démocratique européen et national. Il
faut que chaque pays prévoie, dans sa constitution, que, dans certaine
situations, les décisions des représentants élus peuvent être contestées et
remises en cause par l’Union européenne. Il faut également que les institutions
européennes soient revues pour rendre le processus de décision incontestable,
qu’il ne soit pas laissé entre les seules mains de technocrates.
Autant dire que ce n’est pas demain la veille que les préconisations de
Trichet verront le jour.
Qu’un dirigeant européen, s’attaque aussi frontalement à la souveraineté
nationale, est rarissime, et si Trichet se le permet, c’est qu’il n’est pas un
politique élu !
En préconisant de franchir, par la petite porte, le rubicond du fédéralisme
européen, Trichet a au moins un mérite, c’est d’aller au bout de ses idées. A
partir du moment où il considère que l’Union Européenne, et en son sein l’Union
Monétaire sont importantes pour les peuples européens, il décrit les conditions
qui lui semblent nécessaires pour en assurer sinon le bon fonctionnement, au
moins la survie.
Et en l’occurrence, participer à une même union monétaire, c'est être dans
le même bateau. Or, pour que le bateau avance, il faut que tout le monde rame
dans le même sens et à peu près au même rythme, en clair cela suppose une
solidarité qui impose une discipline commune en matière de politiques
économiques et budgétaires de la part de ses membres. Malheureusement,
l’expérience montre que celle ci n’est pas toujours spontanément
respectée !
C’est pour être resté au milieu du gué que l’Union monétaire connait les
déboires qu’elle connait, du coup se pose maintenant la question de savoir si
il faut revenir sur la berge d’où on vient ou terminer de franchir le gué pour
atterrir sur la berge d’en face. Or, on ne pourra plus rester, très longtemps,
plantés au milieu d'une rivière dont les courants ne font que se renforcer, il
va falloir se décider soit à franchir le rubicond une bonne fois pour toute,
soit à faire demi-tour !
Je crains, hélas, que les « peuples » poussés au cul par les
populistes qui accusent l’Europe et l’Euro de tous leurs maux, ne choisissent
voire ne subissent la deuxième option !