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Les Jardins d’Israël (Venise 2)

Publié le 08 juin 2011 par Marc Lenot

Les Jardins d’Israël (Venise 2)L’événement majeur de la Biennale de Venise me semble être le pavillon polonais. Pourquoi ? Parce que le système même des pavillons est un système national, de promotion des artistes nationaux ; et quand la nation éclate, ces prédominances nationales deviennent encore plus visibles, avec la Serbie reprenant le pavillon yougoslave ou avec la Tchéquie et la Slovaquie se partageant le pavillon tchécoslovaque. L’événement majeur est donc que Les Jardins d’Israël (Venise 2)(pour la première fois dans l’histoire de la Biennale ? je ne sais pas) un pays a choisi pour représentant un artiste d’un autre pays, brisant ainsi le système nationaliste omniprésent, mettant en avant le thème du travail artistique et non pas le passeport. C’est d’autant plus intéressant que l’artiste israélienne Yael Bartana s’attaque justement à ces notions de nation, d’ethnie, de communauté, d’appartenance, dans le cycle de trois films présentés ici sous le titre ‘…and Europe will be stunned’.  Les deux premiers films avaient déjà été montrés, mais c’était ici la première du 3ème film, Zamach, Assassinat.

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Les films de Yael Bartana ont une esthétique fallacieuse, propre, lisse, sans aspérités, un style fascisto-stalino-sioniste avec mouvements de foule, uniformes, symboles, culte du chef, propagande de masse, manipulation de l’opinion, ferveur populaire à la Riefenstahl. Comme toujours chez elle, il faut aller derrière l’apparence, démonter le message, transposer et traduire. Le premier film, Mary Koszmary (Cauchemars) présentait le discours d’un jeune activiste polonais,
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Slawomir Sierakowski, exhortant les Juifs à revenir en Pologne, métaphore du droit au retour ; le second, Muri i Wieza (Murs et Tour) montrait des pionniers juifs édifiant en un jour un kibboutz  fortifié au centre de Varsovie, métaphore de la colonisation. Le troisième, Zamach (dédié à la mémoire de Juliano Mer-Khamis, récemment assassiné), représente les funérailles de Slawomir Sierakowski, devenu leader du mouvement Jewish Renaissance Movement in Poland*, assassiné par un inconnu alors qu’il visitait une exposition des tableaux de Bruno Schulz :
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dans une cérémonie aux relents des années 1930, chacun tente de s’approprier son héritage au profit de ses intérêts, de son idéologie, une historienne, une Israélienne réclamant sa nationalité polonaise, un publiciste aux thèses proches du Likoud, jusqu’à ce que deux jeunes membres du JRMP tiennent un discours d’espoir aux accents utopistes, poignants et naïfs : «  There is no chosen people. With one religion, we cannot listen; with one colour we cannot see; with one culture we cannot feel. We shall be strong in our weakness.” Mais la mise en scène théâtrale et tragique, l’abondance de signes, l’omniprésence de l’uniforme sapent les mots mêmes de ce discours. Une femme fantôme erre, une valise à la main : l’exterminée d’hier, la colonisée d’aujourd’hui. L’hymne israélien, Hatikva, est joué à l’envers : que dire de plus ? J’y ai vu un film lucide et désespéré, un film où la tension entre forme et discours (comme dans Summer Camp) est extrême, un film autant sur la Palestine que sur la Pologne, un film d’incertitudes qu’il n’est guère étonnant que Shimon Pérès, dont la venue vendredi a bloqué tout Venise, ne soit pas venu voir.

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Il est par contre passé au pavillon israélien où le travail de Sigalit Landau est aussi d’une force exceptionnelle. J’aurais pu titrer ce billet « Merci à Israël… ou en tout cas aux artistes israéliens », tant leur présence ici m’a frappé (à l’exception du très confus film d’Omer Fast dans le pavillon central). Si Sigalit Landau louvoie de manière
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désabusée dans l’utopie réconciliatrice avec son projet de bâtir un pont de sel au dessus de la Mer Morte entre Israël et Jordanie (la Palestine étant oblitérée), son travail dans le pavillon israélien soulève avec force la question de l’eau, nerf de la guerre et de l’occupation pour Israël (nappes aquifères en Cisjordanie, Golan) : des tuyaux parcourent l’exposition en tous sens, une fouille (qui pourrait être archéologique) dans un recoin dévoile une pompe souterraine (et là aussi l’importance des fouilles justificatrices de possession du sol, d’occupation, n’est plus à démontrer), un filet de pécheur de Gaza imprégné de sel de la Mer morte est là comme un trophée, comme une relique mortuaire.
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Dans une vidéo titrée Azkalon (Gaza  + Ashkelon, terres voisines et séparées) des jeunes gens jouent au jeu des territoires, lançant leurs couteaux dans le sable, créant des lignes, des frontières, divisant, occupant, fuyant. Une autre vidéo, évoquant Maya, montre des jeunes femmes nues, non pas ceintes de barbelés, mais striant inlassablement le sable au bord de l'eau. Ce travail subtilement politique sur le territoire occupe remarquablement l’espace architectural du pavillon moderniste.

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Parmi les autres pavillons des Giardini, bon nombre sont assez décevants : la mascarade de Thomas Hirschhorn devenu l’artiste officiel suisse, le gentil film d’animation japonais,  les trompe-l’œil coréens de Lee Yongbaek, le complexe système de performances invitées de Dora Garcia, les tableaux post-munchiens du canadien Steven Shearer. Le pavillon égyptien, en hommage à Ahmed Basiouny, tué Place Tharir en janvier dernier, est émouvant, mais sans densité.
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Le pavillon britannique (Mike Nelson)  est un labyrinthe turc en ruine banalement  jonché de détritus où seul le labo photo baigné de lumière inactinique captive, saint des saints de la représentation; mêmes les chiottes y sont à la turque. Le pavillon vénitien présente une belle installation de Fabrizio Plessi, bateaux et vidéos aquatiques. Les Danois, eux, se sont penchés sur la liberté de parole (Speech matters).

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Le pavillon allemand est certainement remarquable (et il a obtenu le prix du meilleur pavillon) mais cette impressionnante chapelle ardente en l’honneur de Christoph Schlingensief, décédé l’été dernier, n’est accessible qu’aux germanophones et aux experts schlingensiefiens, et je suis resté un peu coi. Quant au Pavillon Central, toujours aussi hétéroclite, il est orné de trois Tintoret (mais la Cène est accroché trop bas, perdant l’effet de contre-plongée si essentiel à sa composition ; j’y reviendrai dans deux
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ou trois jours en parlant de San Giorgio Maggiore) surplombés de centaines de pigeons de Cattelan. En cherchant bien, j’y ai trouvé cette pièce de 25 euros avec les nouvelles frontières de l’Europe en 2036 (Ryan Gander, We never had a lot of € around here).

Demain les derniers pavillons intéressants des Jardins : grec, américain et français.

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Les Jardins d’Israël (Venise 2)
Le congrès du JRMP aura lieu à Berlin pendant la biennale en 2012. On peut lire aussi « A Cookbook for Political Imagination ».
Dimanche une quarantaine d'immigrés clandestins tout juste régularisés visitaient la Biennale en gilet de sauvetage (Venoosa); les voici devant le pavillon polonais.

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