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Chronique du Métro XII.

Par Anne-Laure Bovéron

Lui ne s'assoit jamais avec les autres. Pas plus qu'il n'occupe un de ces sièges orange vif et repoussant. Jamais. Sous aucun prétexte semble-t-il. Ils ont tous leurs places dans cette enfilade. Des visages et des vêtements différents. Des rôles aussi. mais tous portent l'insondable au fond des yeux. Il y a le couple d'amis, qui rit et salue les jeunes filles, comme les moins jeunes d'ailleurs. Toujours un mot pour les faire sourire, ou simplement réagir. Il y a aussi le petit black qui passe de temps en temps. Mais il ne regarde que le carrelage d'un blanc sale et à qui il fait de grands discours, des plus argumentés. Intonations et gestuelles comprises. Mais lui. Lui reste là, derrière le pilier saturé de carrelage. A même le bitume grisâtre. Coincé dans l'angle. Juste à la limite de la rigole d'évacuation. Et il dort. En boule, toujours. Le dos tourné au quai. Il ne tue jamais ses journées à coup de rêves bien calé dans le plastique criard qui s'aligne pourtant à quelques pas de là. Il ne se moque pas du temps qui s'étire en trinquant avec les autres, à coup de bière et blagues. Ils sont pourtant eux aussi, à deux pas. Comme pour dire qu'il n'est pas de ce monde là. Ou peut-être qu'il n'a même plus le droit à ce monde là. Il a cependant fier allure dans sa veste de costume ocre. et dans le fond de ses yeux, de la dignité.

Station Goncourt, ligne 11. Quatre personnages du quai.


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