Rock de Pecknold et concert de loue anges
Les lumières percent à nouveau l’espace de la salle. La première partie vient de s’achever sur un « Josh T Pearson, c’est la révélation de ma vie, ce mec est un pur génie ». Les minutes semblent éternelles, mais la libération vient. Fleet Foxes entre en scène, chacun attrapant son ou ses instruments. On s’accorde à accorder. Robin Pecknold, le leader, se plaint de la chaleur qui s’est imposée à tous. Ce que l’on appelle aussi une fournaise. The Cascades vient alors nous abreuver. Limpide instrumental dont la délicate mélodie semble avoir été tissée par des fées, des elfes peut-être. Dans la foule, les hippies secouent leurs cheveux sales. Mon ami et moi échangeons des regards hilares tels des bienheureux. Les chansons s’enchaînent et bien que le groupe les rejoue à la seconde près, refusant de s’engager dans quelque improvisation hasardeuse, le plaisir est bien présent, puissant même. Pour exécuter de tels édifices harmoniques il convient de faire preuve d’un génie certain ou avoir répété mille heures d’affilée. Ce qui paraît peu probable de la part de hippies mollassons. La bande à Robin a de surcroit la judicieuse idée d’intercaler entre chaque nouveau titre les chansons du premier album. Malgré toutes nos tentatives de chorégraphie punk, nos corps trahissent cette passion pour l’une des formations les plus magnifiquement honnêtes qui soient. Grown Ocean, Mykonos passent avec fougue. Le batteur attaque ses futs de telle manière que le folk semble se muer en rock pur jus. La simplicité pop de Battery Kinzie éclate à nos oreilles gourmandes en même temps que propres. Sur scène, la chorale Fleet Foxienne est en ordre de bataille, parfaitement en place, chacun connaît sa partie, sait à quel moment il doit intervenir, construisant au fur et à mesure les accords de ces cathédrales incroyables que constituent à n’en point douter les titres de ce deuxième opus. On sent malgré tout une attente et mon ami d’espérer deux chansons parmi les vingt huit morceaux composés : Helplessness Blues et White Winter Hymnal. Il faut percevoir l’euphorie glapissante qui s’empare du public quand ces derniers résonnent enfin. Délivrance ô combien délicieuse ! Ce White Winter Hymnal, même s’il n’est que métaphorique, semble tomber sur nous en fines couches de froideur bienvenue. Car un petit détail n’a pas échappé à mon regard : au milieu des mecs twittant à mort, on ne va plus chercher au des bières mais des bouteilles d’eau. Comme si l’on revenait à une forme de pureté originelle. Ouais bon, on brode, on brode, je crois surtout que la chaleur, épaissie par la masse compacte des corps, avait atteint une sorte de point de non retour. Robin finit le set sur deux morceaux joués acoustiques, alone, sous les feux croisés des lumières. Oliver James d’abord, superbe chanson taillée pour la voix exceptionnelle du jeune leader puis Blue Spotted Tail aux intonations pastorales et mélancoliques. La fin du set tombe alors le rideau. Nous nous engouffrons dans un couloir de chair humaine malaxée, suante, puis de la sortie nous sentons battre sur nos visage un air frais, doux, presque glacé. Ô joie ! Etourdissante, tant attendue. Quelques minutes, nous échangeons de « concert » autour d’une pièce de viande saignante dans une ambiance que seul Paris recèle, douce cacophonie de voix et de verres trinquaillant sur les tables. Mots et idées s’enchaînent avec vivacité, d’une actualité à une autre, débat passionnant allant de la biroute de DSK au côté « be roots » des Fleet Foxes. Puis le temps vient de nous quitter, chacun s’en retournant chez soi, sourire aux lèvres, vinyle sous le bras tel un trophée, avec autant de souvenirs qu’une mémoire d’homme peut en emporter. Dans le métro qui me ramène at home, quelques hippies en déshérence, pour une fois, ils me sont sympathiques et moins odorants qu’à l’accoutumée. Petit rituel matériel, je déballe toujours un Lp nouvellement acheté dans le wagon, l’exhibant fièrement aux regards des voyageurs souvent interdits. J’aime ça. L’observer, le soupeser, le ranger dans son sac pour l’en sortir quelques secondes après. Cet instant magique, je le perpétue systématiquement. Rien n’y fait, je procède toujours ainsi. L’instant est d’autant plus savoureux quand il s’agit d’un vinyle psyché à la pochette bigarrée, folle, droguée. D’ordinaire ouvert d’esprit, voire libéré, le parisien moyen semble malgré tout interloqué, choqué, pris en traitre par cette attaque graphique et lysergique. Hé hé, petit plaisir vicieux. La performance rejouée dans le théâtre de mon esprit se mêla alors au « tuuuuuuut » métallique du métropolitain.
08-06-2011 | Envoyer | Commentaires (1) | Lu 1876 fois | Public