Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Vous vous souvenez des élections européennes de 2009 ? Non, je vous le demande parce qu’il n’y avait pas eu grand’ monde à aller voter, du coup, vous faites peut-être partie du lot qui est resté au plumard ce jour-là, ce qui amoindrit vos chances d’avoir gardé en mémoire ce scrutin qui s’était soldé par une solide défaite du parti socialiste, d’autant que ce dernier a eu le temps depuis de faire oublier cette déroute en laminant l’UMP aux régionales et cantonales…
Bref, ces élections furent l’occasion pour moi d’une double déception, causée par l’abstention et par la défaite de la gauche, me donnant l’illusion que la droite était là pour mille ans ; c’est un peu miné (on le serait à moins) que j’avais envoyé à diverses personnalités, artistiques, scientifiques et politiques, un message dans lequel je posais cette question : « comment proposer un mode de vie fraternel et enjoué à une humanité égocentrique et morose ? » Du haut de mes 21 ans, c’était ma façon à moi de relancer le débat. Je n’ai reçu en tout et pour tout que deux réponses : d’une part, Marie-France De Palacio, chercheuse à l’Université de Bretagne Occidentale, et, d’autre part…Martine Aubry. Apparemment, ma question recoupait les interrogations qu’elle comptait lever au sein du parti socialiste ; elle ne mentait pas : peu après, j’apprenais qu’elle avait donné une interview au journal Le Monde où elle fixait à son parti cet objectif : « inventer le post-matérialisme, une société qui s’intéresse au bien-être et au bien-vivre ensemble et pas simplement au bien-avoir. Une société qui s’intéresse à chacun et l’accompagne tout au long de sa vie. » Voilà pourquoi, malgré toutes les réserves que je ne manque pas d’émettre à l’égard de la première secrétaire du P.S., j’ai tout de même une sympathie, une tendresse même pour elle : après tout, elle fut une des rares à me prendre au sérieux quand j’avais lancé mon S.O.S.
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Puis le temps a passé, et c’est par un beau jour de printemps que mon amie Julie m’apprit que Martine Aubry avait publié un livre ; dans un premier temps, cela ne me fit ni chaud ni froid, étant donné qu’il est monnaie courante que les hommes politiques publient des essais signés de leur nom (il n’est pas toujours sûr qu’ils les écrivent eux-mêmes, loin s’en faut !) pour exposer leurs idées. C’est en me révélant l’intitulé du livre que mon amie me fit légèrement sursauter : Pour changer de civilisation ! Et c’était un ouvrage collectif, signé « Martine Aubry avec 50 chercheurs et citoyens » ! En clair, la chef du P.S. avait concrétisé ce que j’espérais faire il y a deux ans : une sorte de complément à la réponse qu’elle m’avait faite cette année-là… Ah, j’vous jure, le destin !
Toujours dans notre série "qui aime bien châtie bien..."
Évidemment, j’ai pris la peine de lire le livre, Julie ayant accepté de me le prêter. Dans l’ensemble, je n’ai pas été déçu du voyage ; déjà, l’initiative est sympathique de la part de Martine Aubry qui se refuse, comme beaucoup trop de ses collègues, à ne faire entendre que sa seule voix comme si elle avait des solutions pour tous les problèmes, et fait droit à la pluralité des regards en convoquant tout ces chercheurs. Pour le reste, je ne vais pas tout vous détailler, mais il faut reconnaître que les principaux problèmes de la société actuelle sont abordés avec honnêteté et que les contributeurs ne manquent pas de proposer, au pire, des pistes de travail pour la gauche ou, au mieux, des solutions concrètes – la plus marquante est celle de Guillaume Duval qui affirme péremptoirement, dans le titre de sa contribution, « Il faut un salaire maximum ! » avec un point d’exclamation pour bien enfoncer le clou. Si la gauche suit la voie tracée dans ce livre, ne serait-ce qu’à moitié, elle va réconcilier beaucoup de gens avec la politique !
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Bon, pour être honnête, il y a un article où beaucoup de choses importantes ont dû m’échapper, celui d’Henri Sterdyniak où l’économiste s’emploie à atténuer la crainte qu’inspire la dette publique, mais c’est ma faute : dès qu’il est question de chiffres, j’ai tendance à m’endormir ; je ne sais même pas ce que sont les taux d’intérêt et j’ai eu la flemme d’aller me renseigner. Si vous pouvez m’éclairer, ce n’est pas de refus. En revanche, il y a d’autres trucs qui me déplaisent, et là, j’ai parfaitement compris ce qui était dit. Tout d’abord, dans la contribution de Martine Aubry elle-même quand elle parle de la précarité de l’emploi qu’elle désigne pudiquement sous le terme de « mobilité » : « Parce que la mobilité est devenue structurelle, nous recherchons la meilleure manière de donner un statut et des droits au travailleur mobile, c’est-à-dire une place dans la société et des moyens pour « s’en sortir », comme l’a si bien énoncé Robert Castel. C’est l’enjeu d’un nouveau progrès possible, la sécurité sociale professionnelle, adaptée à la réalité d’une économie mutante, instable et qui exige de chacun des efforts d’adaptation sans cesse renouvelés. Cette continuité professionnelle, pour sécuriser des parcours de vie au travail et progresser professionnellement, s’entend dans l’emploi, avec de la formation individualisée qui doit changer d’échelle, mais surtout entre deux emplois. » Tout cela est bel et bien, mais madame Aubry prend le risque ici de donner de l’eau au moulin de certains de ses détracteurs de gauche et d’extrême-gauche qui l’accusent d’avoir institutionnalisé la précarité durant son passage au ministère de l’emploi ; il est clair ici qu’elle n’entend pas lutter contre le fait que l’emploi stable devienne un privilège de plus en plus marginal. Bon, notez, ce n’est pas encore trop grave : « donner un statut et des droits au travailleur mobile », je ne peux pas être contre, encore moins si la société se promet de ne pas l’abandonner entre deux emplois. Cela dit, parmi les contributeurs du livre, Philippe Askenazy semble mettre en garde la maire de Lille contre le risque que je dénonce : « Il ne faut pas créer une société sociale professionnelle en se disant que, de toute façon, on ne peut pas agir sur les comportements des entreprises. Y renoncer conduirait à enkyster la situation et à en faire payer le prix à la collectivité. » Le même Askenazy formule une autre mise en garde à laquelle je souscris : « Le premier impératif est d’arrêter de jouer aux « apprentis sorciers avec le marché du travail. Les contrats du travail ont été manipulés sans gants ni pincettes : on a, par exemple, voulu développer le temps partiel avec comme seul résultat la création d’une masse de temps partiels contraints, occupés par les femmes monoparentales pauvres. Essayons plutôt de prendre ce qui existe aujourd’hui et cherchons à améliorer les choses. »
Dessin réalisé après les dernières cantonales ; entretemps, l'un d'entre eux a été, comme vous le savez, a été mis hors-jeu... Cliquez pour agrandir.
Mais il y a plus grave ; Ernst Hillebrand semble avoir inspiré l’infâme Manuel Valls ; il attribue à l’électorat populaire une demande en matière de politique répressive à l’égard de l’immigration : cette théorie séduisante, défendue becs et ongles par l’UMP, est renversée par les études d’opinion relayée par Vincent Tiberj qui prend acte d’une nette progression de la tolérance dans la société française. Hillebrand demande aussi à la gauche de se positionner face à l’Islam, arguant que « les dogmes et les pratiques liées à l’Islam ne sont pas toujours compatibles avec des valeurs qui sont depuis longtemps centrales pour la pensée progressiste : l’émancipation des femmes et l’égalité des sexes, la liberté de conscience, de foi et d’expression, la suprématie de la loi sur les dogmes religieux, la laïcité de l’État et de ses institutions, la protection des minorités sexuelles. » Pourquoi l’Islam ? Pour moi, c’est le fait de toutes les religions, de criminaliser les « déviances » sexuelles, de refuser l’expression d’opinions contraires au dogme institué, de traiter les femmes en esclaves ; en tout cas, ça a été le fait de la religion chrétienne pendant des années et ça continue à l’être aujourd’hui dans certaines parties du globe : pourquoi monsieur Hillebrand vise-t-il en particulier une religion encore minoritaire en France et dont 41% des croyants français ne sont pas pratiquants (ils ont été baptisé comme mes parents ont été baptisé chrétien, plus au nom de l’usage social qu’au nom de la foi) ? Les agissements auxquels il fait allusion ne concernent qu’une frange marginale de la population et contre laquelle rien n’empêche la loi d’avoir le dernier mot. Encore une fois, Vincent Tiberj bat en brèche cette vision simpliste des choses : « Repli sur soi et communautarisme ? Avec Sylvain Brouard, nous avons estimé à moins de 5% la population des Français d’origine maghrébine, africaine et turque rejetant l’identité française au profit d’une identité communautaire ou religieuse. On peut bien entendu s’inquiéter de ce comportement minoritaire, mais cela implique que 95% de cette population n’est pas touchée. Islamisation et remise en cause des valeurs républicaines ? (…) Pourtant être musulman n’induit pas de rejet de la laïcité : pour plus de 80% des musulmans, elle évoque « quelque chose de positif » et une proportion similaire est d’accord pour dire qu’ « en France, seule la laïcité permet à des gens de convictions différentes de vivre en ensemble. »
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J’aimerais terminer avec ces propos d’Yves Lion qui me laissent profondément perplexes : « Pour que cette restriction de consommation d’espace [par la ville], il faut en finir avec cette opposition historique ville-campagne et admettre que, l’une comme l’autre, ont des responsabilités communes dans la gestion équitable de la planète. Si l’on doit nourrir 3 milliards de plus d’habitants en 2050, cela donnera forcément une nouvelle énergie à l’industrie agricole. Pour cela, il faut de la place que la ville ne peut plus prendre et en finir donc radicalement avec l’artificialisation des sols. Les terrains existent à l’intérieur des villes : nous en avons en région parisienne sous forme de friches en tout genre. » Là, franchement, dépasser l’opposition entre ville et campagne, j’ai un peu de mal à y croire : il ne faudrait pas que cela soit la porte ouverte à la disparition des deux, l’une étant diluée dans l’autre à la suite d’un mélange préjudiciable pour l’esthétique et pour l’environnement… Et comme le fait observer monsieur Lion lui-même, ces terrains présents en ville « sont moins faciles à travailler que les champs de betteraves et réclament plus de d’attention et de savoirs » : ce sera toute la formation des agriculteurs qui sera à repenser entièrement ! Enfin, après, moi, ce que j’en dis… Et puis je vous parle de ce qui ne va pas : dans l’ensemble, je suis d’accord sur presque tout ce que j’ai lu dans ce livre. Je n’ai pas dit tout ça pour pinailler, mais il fallait bien que je mette les points sur les i ; et puis, si je peux participer au débat moi aussi… Bon, je vous mets les références du bouquin et je vous laisse ; allez kenavo !
Martine Aubry avec 50 chercheurs et citoyens, Pour changer de civilisation, éd. Odile Jacob, 16.50 €