Depuis son entrée dans l’euro, la Grèce ne cesse d’être à la mode. À croire qu’elle en a fait une spécialité.
Chronologie d’un désastre annoncé
Second semestre 2009, le discours officiel est simple : « tout va bien. »
Les déficits ne dépasseront pas 6,5 %. En langage codé, cela veut dire que la situation est très inquiétante. J’avais alors eu un échange sur Beur FM concernant la situation financière de ce pays avec l’économiste Jean-Marc Daniel, moins inquiet que moi sur la question. J’y évoquais les risques pour la zone euro d’un effet domino. Et en effet, quelques mois plus tard, dans cette moussaka de chiffres, la réalité faisait ressortir un déficit à 12,7 % en novembre. Premier stade de la panique.
Fin 2009 : « tout va bien. »
Traduction pour les initiés : c’est foutu, alors faisons-nous plaisir tant qu’on ne nous dit rien. En décembre, toutes les agences de notation consternées par les chiffres grecs, font un gyros de la dette grecque. Avec beaucoup d’harissa. Ca pique les fesses.
Début 2010 : « la situation est sous contrôle », le gouvernement grec annonce un gel des salaires des fonctionnaires.
Autant dire, rien. Sous-titré en langage politique : « on s’en fout ». Le 23 avril, Athènes demandait officiellement l’aide de l’Europe. Qui a demandé l’aide du FMI. Qui a demandé l’aide de la BCE. Enfin, pas dans cet ordre, mais dans la confusion, difficile de se rappeler.
Depuis, il y a des hauts (grâce à la crise en Irlande, au Portugal, en Espagne ou en Italie, on oublie un peu la Grèce), et des bas comme en ce moment. Ces derniers jours, tout le monde se rappelle bien qu’en Grèce, rien n’a été réglé. Les choses auraient même tendance à empirer. On voit bien des manifestants dire qu’ils n’ont rien à faire de leurs créanciers comme des ados qui engueulent leurs parents de ne pas assez leur donner d’argent de poche. Mais au-delà, pas grand chose.
Thérapie de choc
Pour stopper la gangrène, les soins vont être lourds, longs et douloureux. Encore faudrait-il que tous les acteurs s’accordent sur la méthode de sortie de crise. Aujourd’hui, deux écoles s’opposent :
1. La ligne dure du FMI consiste à exiger de la Grèce le respect de ses engagements vis-à-vis de ses créanciers privés. Mais en échange de son aide financière, la Grèce doit abandonner une partie de sa souveraineté afin de mettre en oeuvre les réformes du système économique, social et fiscal du pays. Pire que Thatcher, puisqu’imposées par une autorité extérieure.
2. La ligne « soft » des pays de l’Union Européenne, à laquelle est en train de se rallier l’Allemagne, consiste à faire payer une partie aux créanciers privés détenteurs de dette grecque. Pour amadouer les Allemands qui, une fois de plus, sont en train de céder sur tous leurs grands principes, on parle de « restructuration douce » et d’autorité européenne économique capable de surveiller et de sanctionner les pays qui, une fois la crise terminée, maintiendraient une ligne budgétaire laxiste.
La première solution a été appliquée à tous les pays émergents lorsqu’ils ont traversé des moments difficiles. En général, ces traitements de choc ont porté leurs fruits. Ces pays ont retrouvé la confiance des investisseurs assez vite. Nombre de ces pays sont même aujourd’hui des tigres rugissants qui commencent à nous inquiéter par leurs succès. La ligne « soft », en revanche, n’a pas encore fait ses preuves. Si le FMI n’est pas tout à fait en ordre de marche pour en contester la ligne (que DSK avait commencé à faire mollir), la BCE ne veut pas en entendre parler. Si la dette grecque devait être renégociée, même en actionnant la carte du volontariat des créanciers (mais ont-ils le choix ?), la BCE devrait alors refuser, conformément à ses statuts, de prendre cette dette publique comme garantie pour avancer ses liquidités aux banques.
Une « restructuration » signifie qu’une bonne partie des 340 ou 350 milliards d’euros de dette grecque en cours s’envolerait en fumée. Les banques européennes, les banques grecques, les fonds de pension et même la BCE devraient alors encaisser le choc de ces pertes considérables. Cette décision signifierait également la faillite immédiate des banques grecques, rendues incapables de se refinancer au jour le jour comme elles le font aujourd’hui en déposant des dizaines de milliards de titres grecs à la BCE. Seule solution : augmenter encore davantage l’aide à la Grèce.
Plus grave, les créanciers échaudés auraient aussi toutes les raisons de ne plus souscrire les dettes des autres pays menacés (Portugal, Espagne, Irlande… Italie ? Belgique ?), et nous reprendrions l’effet domino interrompu. Cette spirale est sans doute ce qui inquiète le plus les banques, les gouvernements un peu plus vertueux que les autres… et la BCE.
Troïka, ou neue Europa ?
Le seul point positif de cette histoire, c’est son impact sur l’Europe. Le travail de la Troïka (FMI, UE et BCE) pourrait déboucher sur un renforcement de la construction européenne en assainissant ses fondations. Ces dix dernières années, seule la BCE a émis quelques critiques à l’encontre des déficits publics excessifs et outrepassant les critères de Maastricht. L’Allemagne n’osait pas trop hausser le ton, après le soutien reçu pour financer l’unification allemande, mais aussi ses dérapages budgétaires répétés. Aujourd’hui, la leçon est apprise par tous dans la douleur. Il n’est pas certain que l’euro survive au choc des dettes publiques européennes. Peut-être verrons-nous plusieurs pays en sortir (au prix excessivement fort, bien plus lourd qu’en restant dans l’euro).
Pour ceux qui sortiront de la crise en restant dans l’euro, il ne sera plus possible d’envisager voir des pays membres faire n’importe quoi avec cette devise commune. Une autorité sera probablement imposée à tous pour faire respecter très strictement les plafonds de déficits et de dette publique. Mais nous n’en sommes pas là, et la France est encore du mauvais côté du mur. Surtout, le vent libéral qui souffle sur le reste de l’Europe n’a pas encore atteint l’hexagone.