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Mènis Koumandarèas, La Femme du métro

Par Eric Bonnargent
L’amour contre toute attenteMarc Villemain

Mènis Koumandarèas, La Femme du métro

Quidam Éditeur

Mènis Koumandarèas est aussi célébré dans son pays qu’il est méconnu dans le nôtre. Aussi les éditions Quidam, qui décidément n’ont pas leur pareil pour exhumer les perles, s’attachent à combler cette lacune en publiant le cinquième de ses livres, celui qui, nous dit son traducteur et commentateur Michel Volkovitch, « suscite une ferveur unanime. » 
Petit livre tremblant et enlacé, La Femme du métro est le récit d’une rencontre presque aussi interdite qu’improbable. Celle d’une femme, Koùla, la quarantaine installée, et d’un jeune homme assurément hédoniste et vaguement anarchiste, Mìmis, que tout distingue a priori mais qui ne peuvent réprimer leur attirance et s’empêcher de se dévisager, chaque jour, à la même heure, dans la même rame de métro : « leurs regards étaient une détente mutuelle, une pause entre la journée finissante et la nuit qui arrivait. » Improbable, donc, cet amour aussi soudain qu’inexpliqué, entre cette femme dont on devine la monotonie établie de l’existence et ce garçon encore à peu près affranchi de toute contrainte. Mais interdite, aussi, d’une certaine manière, car ce qui est ici décrit nous renvoie à la Grèce des années 1970, cette Grèce qu’effleure à peine la bourrasque politique et sociale où nombre de sociétés du continent tâchent de trouver un peu d’air. La réserve obligée où se tient madame Koùla, cette effusion cadenassée qui perturbe ses journées, ce désir qu’elle échoue à tenir en lisière, tiennent autant à son caractère qu’à la prudence collective où est alors le pays. écrit en 1975, ce récit qu’on lira d’une traite et en une heure de temps nous saisit de manière sourde et lancinante, parce qu’il dresse le portrait très touchant d’une femme ordinaire, vertueuse, résignée, raisonnable et passionnée, et parce qu’il condense le temps et les impressions avec une précision psychologique littérairement exemplaire. Michel Volkovitch l’écrit mieux que moi : « comment se fait-il que tout aille très vite, et en même temps avance au ralenti ? »
C’est en cela un petit joyau, qui parvient même, dans son ultime partie, à basculer tranquillement dans un registre presque plus spirituel, où l’acte se résout et se tait pour laisser place à une forme d’introspection qui, articulée à une prose plus intérieure, n’en perd rien de sa sensualité : « Elle aurait voulu se trouver allongée sur des draps blancs, immobile, les mains jointes sur sa poitrine, prête à recevoir la communion, s’essuyant les lèvres avec le linge sacré que lui tendait le prêtre. Elle aurait voulu entendre une voix paternelle qui couvrirait toutes les autres, des paroles qui à elles seules la mèneraient à un sentiment d’accomplissement, légitimant sa vie. Elle aurait voulu que cette voix creuse en elle doucement, en extraie cette impression d’être condamnée qui pesait sur elle depuis toutes ces années, qu’elle lui rende le monde lumineux et pur qu’elle avait connu enfant. » Derrière l’amour interdit, ce qui se trame, bien sûr, c’est le vieillissement, la versatilité des chairs, la clôture des horizons, l’amertume et le ressassement où nous plongent les lointaines contrées disparues, où se mêlent, douloureuses, le vivace persistant et le désir tenace. 
Traduit du grec et postfacé par Michel Volkovitch

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