Jeu de piste, ou traquenard ?
On se demande à quoi jouent les commissaires de cette exposition, dont le propos liminaire est pourtant alléchant :
"Charlotte Perriand aimait avoir « l’œil en éventail », c’est-à-dire attentif à tout, aux êtres et aux choses, surtout les plus humbles. Son « œil en éventail » devenait régulièrement « œil photographique » pour générer des photos d’avant-garde, elles-mêmes servant à ses très novatrices créations de mobilier.
Voilà ce que le Petit Palais souhaite faire découvrir au public en déployant photos et mobiliers de Charlotte Perriand aussi bien dans la salle d’exposition du rez-de-chaussée, dite Hall Jacqueau, que dans les salles de collections permanentes en résonance, alors, avec les meubles du XVIIIe siècle, les peintures réalistes, les vases grecs…"
Résultat : aucune biographie de l'artiste à l'entrée de l'exposition, des oeuvres dispersées au milieu des collections permanentes d'Arts décoratifs (ce qui n'est pas une mauvaise idée a priori), aucun fil conducteur, ou alors nous ne l'avons pas trouvé. Un mépris de fer du spectateur, ou alors on s'adresse sciemment à une poignée de spécialistes.
Et c'est bien dommage, car Charlotte Perriand (1903 - 1999) est une artiste majeure du XXème siècle : fille d'un tailleur et d'une couturière, elle devient architecte et commence sa carrière en 1927 auprès de Pierre Jeanneret et de son cousin, Charles-Edouard Le Corbusier.
Nombre de ses créations sont d'ailleurs attribuées à ce dernier. Il faut se représenter l'extraordinaire innovation de ces meubles faits de tubes, de métal et de ressorts à cette époque, puisqu'ils continuent aujourd'hui à être réédités. Tout le monde à la maison connaît mon addiction pour le fauteuil cubique à coussins de cuir et structure tubulaire...que j'ai résolu d'acheter pour Noël.
Excellente photographe, elle éclaire de sa beauté certaines photographies où elle pose, parfois peu vêtue. C'est une pure, elle milite pour que la forme soit le reflêt de la fonction. Elle fait partie des compagnons de route du parti communiste avec Fernand Léger, entre autres.
Elle réalise quelques commandes spectaculaires (fresques-collages photographiques pour l'Exposition de 1937, sur le thème de l'évolution des loisirs et de l'art d'habiter, pour le Salon des Arts ménagers de 1936).
Après son séjour au Japon (1940 à 1942, pas vraiment un moment bien choisi !), ses convictions se précisent. Son style s'affirme. On retrouve sa patte dans l'ameublement de résidences universitaires, d'ambassades, de ministères.
Plus près de nous, à partir de 1967, elle collabore à la conception et à l'à son aménagement intérieur optimal de la station de montagne des Arcs, conçoit des modules de refuges alpins en kit.
En fait, elle marque son époque d'un style dépouillé et pratique, toujours actuel aujourd'hui. Il n'y a finalement pas que le style scandinave pour caractériser le mobilier populaire contemporain !
Alors, malgré les défauts criants de la mise en oeuvre de cette exposition et son manque total de pédagogie, il faut tout de même aller la voir. Dieu merci, le personnel de gardiennage du Petit-Palais est d'une grande courtoisie et vous guide dans les méandres de cet espace muséal mal fichu, où les pépites cotoient quelques horreurs....
Intéressant, les meubles conçus par Charlotte Perriand sont édités aujourd'hui par différentes entreprises comme CASSINA ou DOWNTOWN. Comme en 1927, ils incarnent encore l'avant-garde. Qui dit mieux ,
Exposition au Petit Palais - Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris - jusqu'au 18 septembre, avenue Winston Churchill - 75008 PARIS, tous les jours sauf lundi et jours fériés. 8€