Mercredi prochain 9 juin 2011, je serai dans la forêt Alsacienne, forcément ému. Nous commémorerons alors le souvenir, 71 ans après, de la disparition du soldat Pierre Blanc, au même endroit, le 9 juin 1940.
Sa fiancée sera à mes côté! Eh oui, Maïou, avec qui j'ai vécu l'aventure extraordinaire de la publication des lettres de Pierre Blanc, sera là aussi.
Comment exprimer les liens forts qui peuvent nous unir après avoir vécu une telle chose? Grâce à elle, je suis devenu un peu le troisième personnage de cette histoire. Cette rencontre fut aussi celle de Pierre Blanc, ce jeune provençal aimant la littérature et promis à un bel avenir. Le destin et la vraiment pas “drôle” de guerre en ont décidé autrement.
Maïou était restée sur une disparition et, grâce au travail de mémoire que nous avons effectué en commun, nous avons trouvé la tombe de Pierre Blanc dans un cimetière militaire, soixante ans après…
Et donc soixante ans après, elle a pu faire son deuil. Nous avions déposé, ce jour-là, sur la tombe, un petit pot de myosotis… Ne m'oubliez pas…
Le nom de Pierre Blanc, gravé sur la pierre posée dans la forêt de Sturlzelbrönn, sera comme un repère, un coeur battant pour tous ceux qui n'oublierons pas les 100 000 victimes de cette guerre.
« C’est là l’histoire de chaque jour où de nombreuses fois, on garde l’impression qu’on vient de faire naufrage, ou l’on a cette impression maudite que pour sauver certains il faudrait être un peu plus qu’un homme alors que parfois on l’est tout juste, ou un peu moins. » Pierre Blanc
Ci-dessous, extrait de notre livre, “Pierre Blanc, lettres à Maïou”, Bernard Giovanangeli éditeur :
La dernière lettre de Pierre :
Le 8 juin (1940)
Ma petite chérie,
Nous nous sommes avancés assez loin aujourd'hui vers chez eux. Nous étions bien installés sur un petit éperon en embuscade et nous n'avions pas grand espoir de rapporter ou de voir du gibier.
Cependant que, ventre au soleil, nous respirions l'air frais d'un sous-bois de hêtres, on entendit parler puis crier sur la colline en face, une colline à laquelle notre éperon se rattachait. Quelques fritz passèrent dans une éclaircie, ils allaient vers chez nous.
Nous avons voulu les laisser passer puis barrer la route derrière eux, avec mille ruses de sioux nous avons essayé notre mouvement, nous relevions des traces de pas, c'était épatant. Et, au moment où nous pensions les tenir, un observateur nous les a signalés derrière nous. Nous étions passés sans les voir.
Mais un de ces jours nous en aurons d'autres. Mais je vous assure que ce métier est épatant.
J'ai su que Marseille a été bombardé samedi et dimanche. Papa a téléphoné à madame Chaine, l'Estaque n'a pas été visé, mais cette alerte m'inquiète, j'espère au moins que les représailles auront rendu les Allemands plus raisonnables, car vos parents ne sont pas à l'abri au chalet.
De toutes parts, d'ailleurs, on m'annonce que l'on part de Marseille pour habiter la grande banlieue. Cette prudence est motivée surtout si l'Italie rentre dans la danse.
Ici, je continue à être le gros planqué, point d'artillerie, point d'aviation. Notre guerre comme je vous le disais déjà est encore un sport et nous ne sommes pas impressionnés par le danger, car nous n'en courrons encore point.
J'ai appris aujourd'hui encore, que les patelins que nous occupions à notre repos d'hiver sont actuellement tenus par les allemands. Vous souvenez-vous de cette grande ferme que nous avions visitée, de l'Ecuyère et du Chemin des Dames ? À cette époque, je vous décrivais tout cela et personne ne s'imaginait que la guerre se déroulerait là une nouvelle fois. Les gens plantaient à outrance le blé, les betteraves et les pommes de terre, bien persuadés qu'ils seraient beaucoup trop à l'arrière pour risquer quelque chose.
Comme en 1870, comme en 1914, nous-nous sommes trompés sur les capacités offensives des Allemands. Nous tenons le coup malgré cette erreur et il faut regarder cela comme une grande victoire. Actuellement, le redressement et la cohésion de nos forces sont en bonne voie, mais il a fallu comme toujours une leçon pour le permettre.
Ma petite Maïou chérie, je crois qu'il ne reste plus grand temps avant votre bachot, j'y pense souvent, je n'ai pas d'inquiétude sur les résultats que vous obtiendrez, mais je prie cependant pour vous.
J'espère que lorsque tout sera tassé, lorsque la première manche nous aura redonné l'avantage, je pourrai vous revoir. Souvent, j'en brûle d'envie, je sais bien qu'il n'est au pouvoir de personne de le permettre, et je m'efforce de ne pas trop penser à notre prochaine rencontre.
Vos fleurs bleues m'ont plu, j'y repense soudain, mais soyez tranquille, je ne vous oublie pas.
Ma petite Maïou chérie, je vous embrasse bien fort.
Votre Pierre
APRÈS…
Et puis la boîte aux lettres resta désespérément vide.
À une correspondance presque quotidienne aimante et vivante succéda un silence porteur d’inquiétude.
Cruelle coïncidence, le 8 juin, Joseph, un des deux frères de Maïou, était tombé dans l’Aisne sous les balles ennemies. Au milieu de la stupéfaction, de l’angoisse et de la honte des vaincus ressentie par une grande partie de la population, le destin malheureux de Maïou se perdait, tant l’impression de chaos ambiant était vive. D’autres êtres, hélas, avaient été balayés par la guerre. Certains étaient morts ou disparus, et beaucoup d’autres franchissaient la frontière allemande pour rejoindre les camps de prisonniers.
Pierre ne pouvait-il pas, lui aussi, compter parmi les captifs ?
S’accrochant à ce faible espoir, Maïou interrogea les hommes qui, en uniforme, perdus, souvent débraillés, erraient sur la Canebière, un écusson du 55e R.I.A. au revers. Elle n’obtint que des réponses très évasives, des regards fuyants, gênés.
Le temps s’écoula, les mois passèrent puis, en octobre 1941, l’administration militaire annonça officiellement le décès de Pierre à sa famille, sans précision de lieu ni de date.
Dans un acte de délicatesse affectueuse, les parents de Pierre voulurent voir Maïou pour, simplement, lui donner l’acte de citation à l’ordre du régiment, et la croix de guerre dont Pierre avait été honoré à titre posthume.
Bien dérisoires, ces distinctions rejoignirent les lettres du disparu, dans cette boîte que Maïou ne rouvrira que bien plus tard, soixante ans après.
Alors cet ami qu’elle croyait avoir perdu, cet amour de jeunesse parti trop tôt, ressurgit de ses lettres pour lui parler et lui dire, tout simplement, doucement, des mots qu’elle voulait entendre :
Ne m’oubliez pas…
Nous écrivions les lignes qui précèdent quand le facteur déposa dans la boîte, le 1er mars 2001, une lettre au contenu déconcertant. L’enveloppe portait l’en-tête du Ministère de la défense.
Nous-nous rappelions à peine avoir écrit le 8 novembre de l’année précédente au service de la « direction de la mémoire du patrimoine et des archives » pour demander s’il était possible d’obtenir quelques renseignements complémentaires sur la carrière militaire de Pierre Blanc, et nous n’attendions plus de réponse.
La feuille agrafée en annexe, comportait les informations habituelles : date et lieu de naissance, affectation, mais ce qui en faisait un document unique, irremplaçable, se trouvait au bas, résumé en deux lignes : « inhumé dans le cimetière national de Cernay, Haut Rhin, tombe n°1186, carré 39/45 ».
Grâce à quelques autres détails donnés ensuite par un documentaliste du même Ministère, nous pouvons dire maintenant que, le 9 juin 1940, Pierre, probablement blessé, fut transporté par les allemands de l’autre côté de la frontière puis expira assez rapidement. Il fut inhumé dans le cimetière communal du petit village de Rodalben, près de Pirmasens, à une dizaine de kilomètres de la France envahie.
Le temps passa, puis la paix revenue, les français voulurent récupérer les dépouilles de leurs soldats morts au combat. Les cimetières allemands furent visités systématiquement.
En 1948, les cendres de Pierre furent transférées dans le cimetière militaire de Cernay où elle reposent toujours.
« Des hirondelles viennent d'arriver, chassées à l'automne par des bruits insolites, elles sont revenues tout de même. Elles pensent dans leurs petites têtes n'avoir fait qu'un mauvais rêve qu'elles ont à présent effacé ».
Pierre Blanc