La traduction française des Carnets
de Marina Tsvetaeva est un événement éditorial et littéraire, auquel Poezibao s’associe par un dossier
spécial, en trois volets.
Le premier a présenté le projet éditorial. Dans le second, publié ici, il s’agit
de rendre compte d’une rencontre avec Nadine Dubourvieux et Eveline Amoursky,
les traductrices qui ont travaillé à cette édition monumentale sous la houlette
de Luba Jurgenson. Paraitra ensuite le troisième volet, constitué d’une note de
lecture des Carnets.
Rappel important : Les Carnets paraissent seulement début mars, en
même temps que le livre d’Ariadna Efron, Marina Tsvetaeva, ma mère, également publié aux
Éditions des Syrtes.
L’unique lieu qui est le sien, le
texte[1]
Une présentation de l’édition des Carnets
de Marina Tsvétaïeva
Deuxième volet, rencontre avec les
traductrices
J’ai rencontré Eveline Amoursky et Nadine Dubourvieux, dans les bureaux des Éditions des Syrtes. J’ai souhaité cette rencontre car j’avais été spontanément attirée par cette entreprise, que je pressentais de grande envergure, voire même un peu folle, d’une traduction en français des Carnets de Tsvetaeva. Et l’entretien m’a en effet permis de mesurer la passion et l’engagement nécessaires à un tel projet !
La
formation d’un trio
Trois personnes se sont attelées à cette tâche, soit
dans l’ordre chronologique de leur intervention, Eveline Amoursky, Nadine
Dubourvieux et Luba Jurgenson.
Eveline Amoursky[2]
a enseigné le russe et elle a réalisé plusieurs traductions pour Les Syrtes,
Actes Sud et l’Age d’Homme. Elle a notamment traduit les Lettres à Anna[3] et Les Lettres du Grenier de Wilno[4].
Nadine Dubourvieux a étudié le russe à la Sorbonne avec Véronique Lossky et
Jacques Catteau. Elle a traduit pour les éditions Clémence Hiver Quinze lettres à Boris Pasternak, paru
en 1991, puis Lettres à Anna Teskova
(2002) et en collaboration avec Tzvetan Todorov, pour les éditions Robert
Laffont, Vivre dans le feu, un choix
de lettres et écrits intimes de Tsvetaeva, paru en 2005 et sorti en poche en
janvier 2008.
Luba Jurgenson est maître de conférences de littérature russe à la Sorbonne -
Paris IV, romancière et traductrice ; elle est l’auteur notamment de L'expérience concentrationnaire, est-elle
indicible? (Éditions du Rocher, 2003), essai dans lequel elle mène une
analyse comparative des plus grands récits littéraires sur l’univers des camps
nazis et soviétiques. Elle a aussi été maître d’œuvre de l’édition intégrale
des Récits de la Kolyma
de Varlam Chalamov (Verdier, 2003).
Lorsque les Éditions des Syrtes ont acquis les droits de traductions des Carnets, c’est Eveline Amoursky seule qui
a entrepris ce travail, mais plusieurs mois plus tard elle a été rejointe par
Nadine Dubourvieux, qui a pris en charge le second tome de l’édition russe.
Parallèlement s’est imposée l’évidence que le texte seul des Carnets constituerait pour le lecteur
français un ensemble difficile d’accès. Faire des coupes étant un choix peu
satisfaisant, une autre option s’est fait jour : éclairer le texte. Tâche
complexe pour laquelle Luba Jurgenson a été appelée en renfort. C’est donc sous
sa direction que le travail à trois s’est mis petit à petit en place,
relectures communes des traductions et surtout, pas à pas dans les Carnets, relevé puis mise en œuvre de
tout ce qui pourrait aider à mieux les lire, les comprendre : notes diverses
et encadrés de toutes sortes : portraits des principaux et très nombreux
personnages évoqués par Marina, éclaircissements sur divers aspects de la vie
en Russie, brefs extraits de la correspondance ou de certains textes de
Tsvetaeva, lettres d’autres protagonistes, iconographie très développée et
légendée avec soin, bref une multitude de sources complémentaires, venant
enrichir et éclairer le texte même des Carnets.
A tous ces éléments inclus dans le fil du livre sont venues s’ajouter trois
annexes importantes :
-un vaste panorama historique et littéraire de l’époque avec repères
chronologiques, établi par Luba Jurgenson ;
- une chronologie de la vie de Marina Tsvetaeva, détaillée (pour les années
touchées par Les Carnets) avec de menus faits parfois encore mal connus du
public français.
-Un ensemble de repères biographiques permettant de resituer personnages
épisodiques ou secondaires de la vie du poète
ces deux dernières annexes établies par Nadine Dubourvieux.
Sans compter l’inévitable et indispensable index général des noms.
La question de la lecture
Autant de clés donc pour
faciliter la lecture puisque tous ces faits jouent ici un rôle fondamental et
que s’il n’en connaissait rien, le lecteur pourrait avoir l’impression de lire une
succession d'anecdotes plus ou moins intéressantes, croustillantes ou encore
sordides.Il faut aussi rappeler l’extrême
complexité de la personnalité de Marina Tsvetaeva, complexité telle que Nadine
Dubourvieux constate qu’après vingt années passées en sa compagnie et dans
l’intimité de son écriture, il y a des aspects qui lui échappent encore.
Les indications fournies sur le contexte historique et social sont utiles aussi
pour mieux appréhender certains aspects du comportement de Marina, cette
liberté dont elle fait preuve dans ses incessantes rencontres amoureuses, à
mettre en regard du chamboulement des mœurs induit par la guerre et la
révolution.
Nadine Dubourvieux et Eveline Amoursky suggèrent qu’on a jusqu’ici beaucoup
trop approché Marina sous l’angle du biographique. Et qu’il serait dommage que Les Carnets
soient appréhendés uniquement sous cet aspect, alors qu’ils vont bien au-delà,
qu’ils sont le lieu des expériences du vivre-écrire
de Tsvetaeva, que dans ces pages sont nés nombre de textes, rapportées tant de
rencontres fondamentales, inscrites des lectures importantes, relatés des faits
significatifs, etc. Les Carnets
permettent aussi de saisir l’évolution fulgurante de Marina, depuis la toute
jeune fille, souvent futile, qui commence à les tenir vers l’âge de vingt ans,
en 1912, alors que sa première fille a trois mois, jusqu’à l’écrivain en pleine
possession de ses moyens, traitant d’égale à égal avec Heine, Casanova, le
Prince de Ligne, Goethe pour les morts mais aussi tant et tant de
contemporains, parmi les plus grands.
Comment lire les Carnets
Pour clore cet entretien, j’ai
demandé à chacune des deux traductrices de me dire comment selon elles, il
fallait lire ces Carnets. Nadine
Dubourvieux préconise plutôt une lecture au coup par coup, les prendre
« matin et soir », dit-elle, lire une phrase « et cette phrase
va ouvrir dans votre vie quelque chose d’étonnant ». Eveline Amoursky ne
prône pas non plus forcément la lecture linéaire, mais elle souligne que seule
celle-ci permet de voir comment une « chrysalide insouciante » devient
ce qu’est devenue la vraie Tsvetaeva en un laps de temps très court et de se
poser la question fondamentale de la part de l’Histoire dans son histoire.
A venir, une note de lecture détaillée des Carnets
[1]
Luba Jurgenson, in Marina Tsvetaeva, Les
Carnets, Éditions des Syrtes, parution mars 2008
[2]
Eveline Amoursky a réalisé un site sur Marina Tsvetaeva avec notamment une très
intéressante iconographie
[3]
Lettres à Anna, trad. E. Amoursky,
Syrtes, 2003
[4]
Lettres du Grenier de Wilno, Trad. E.
Amoursky, Syrtes, 2004