« Winston laissa tomber ses bras et remplit lentement d’air ses poumons. Son esprit s’échappa vers le labyrinthe de la double-pensée. Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée » George Orwell, 1984.
La double pensée est sans doute ce qui définit le mieux toute la cléricature politique et médiatique contemporaine. Les exemples sont innombrables et quotidiens. Tout récemment une grande partie de la classe politique de « gauche » soutenant un DSK coupable de viol (et non pas d’autre chose) au motif que « cela ne lui ressemble pas » alors même que c’est archétypal du personnage. Récemment un JF Kahn assénant « off » quelque bonne grosse vérité sur la transformation démographique accélérée de notre environnement humain contemporain sous l’effet d’une immigration de peuplement délirante alors qu’il la nie jour après jour dans son torchon bien-pensant. Tel autre Meirieu ou Bégaudeau assurant que le chaos éducatif contemporain n’en est pas un mais que le niveau monte…etc., etc.
Comment croire que des personnages qui se mentent à eux-mêmes puissent ne pas mentir à leur entourage, à leurs lecteurs, à leurs électeurs, à leurs compatriotes ?
La double pensée est, in fine, pour ceux qui pensent en dehors des clous, l’unique façon de survivre socialement mais aussi moralement dans un monde ou le mensonge est omniprésent et tyrannique. Pour l très grande majorité du personnel officiel médiatique, politique et sociologique, la double-pensée n’ets même pas nécessaire car les femmes et les hommes qui le compose sont intimement persuadés de la doxa qu’ils professsent. Et sont même sélectionnées sur leur aptitude à la professer de bonne foi. Encore plus redoutable…et pourtant si fréquent.
Le logiciel idéologique du journaliste ou du sociologue lambda de « gauche », mettons de Libé ou de Télérama est simple :
- l’économie de marché et le monde qu’elle façonne sont incontournables. Il est urgent d’abandonner toutes approche de la question sociale, toute analyse, toute critique de la globalisation du Capital et de son imaginaire aliénant, l’économisme (avec son rituel de points de croissance, ses injonctions à consommer et à produire, ses célébrations des résultats trimestriels de tel ou tel paramètre) devient la nouvelle religion séculière de tous,
- dés lors, la libre circulation des hommes, des marchandises et –accessoirement- des capitaux- est une évidence –une donnée, non plus une hypothèse- qui justifie l’abolition des frontières, la libre circulation des hommes d’où qu’ils viennent, la régularisation inconditionnelle de tous les clandestins et la diabolisation (reductio ad Hitlerum) de tous ceux qui s’opposent à cette logique irréfutable (il n’ya pas d’alternative, au moins dans le « cercle de raison » du pitre Minc et de sa cohorte de happy-fews new-yorkais ou marrakchis),
- les droits de l’homme, naturels et positifs, s’appliquent à tous inconditionnellement et sont susceptibles, sachant que la société et l’Etat sont neutres idéologiquement et ne s’appuient sur aucune conception morale ou philosophique commune, de s’étendre à l’infini au gré des novations sociétales extraordinaires et du jeu des lobbys en cour du moment, sans autre limitation que d’autres droits, par nature inconciliables et irréductibles (le droit de faire la teuf et le droit de dormir en paix ou le droit de fumer du canabis et celui à la santé, le droit à une sexualité zoophile sereine et le droit de protéger les animaux de toute violence, etc.) ; le mot d’ordre reste : METTRE A BAS LES DERNIERS TABOUS ! La coexistence forcée d’individus aux logiques et modes de vie forcément irréductibles et désunis par l’absence de toute morale/ philosophie/ common decency partagée produit donc le chaos moderne qu’il est loisible à tous d’observer, sous couvert d’un vague bricolage « citoyen », dérisoire injonction au « vivre ensemble » alors même que le système produit à jet continu les conditions de la guerre de tous contre tous…
- la trahison des classes populaires et des peuples différenciés et enracinés dans une culture, un territoire, une langue, des traditions, au profit d’une posture nomade ultra transgressive car relativiste et déconstructionniste est escamotée par l’injonction frelatée et permanente à LA LUTTE CONTRE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION ET DE RACISME ! autre élément incontournable de la pensée unique qui sert de colonne vertébrale à nos modernes. ; la seule façon pour la fraction dite « de gauche » de ce personnel politico-sociologique et médiatique pour ne pas sombrer dans la schizophrénie et la souffrance qu’implique la double pensée étant alors de s’inventer un ennemi fantasmé : c’est le rôle des crétins utiles du genre le pauvre Lindenberg qui bataillent sans relâche pour faire accroire au commun que nos sociétés seraient menacées (non pas par le consumérisme effréné et destructeurs de hordes de crétins narcissique et immatures) mais par la TERRIBLE REACTION CLERICALE, MILITAIRE ET PATRIARCALE ET SON SINISTRE ORDRE MORAL ! Et il suffit bien sûr de lire n’importe quel magazine consensuel (genre les Inrocks ou Télérama) ou de regarder une heure de W9 ou M6 boutique pour prendre conscience de la réalité du danger…
Pour résumer, à la base, un logiciel de pensée verrouillé et transmis dés le plus jeune âge à nos têtes blondes, dont les moins affûtées intègrent les rangs panurgesques de ce personnel officiel, imprégnés qu’ils sont de la doxa unique, charge à la double pensée de verrouiller, en haut et chez les plus perspicaces, toute velléité de voir et dire le vrai.
C’est bien fait. Mais pas neuf. Cf Orwell.
Demain, le journaliste de « droite ».
le vrai: