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Est-ce l’aigreur de n’avoir aucune vie sociale ? Est-ce le complexe d’une peau rendue livide de ne plus voir la lumière du jour ou de la bouée confectionnée à force d’ingestion massive de chips goût poulet fumé en s’adonnant à des jeux en ligne qui, un jour, les conduiront à débarquer à Pôle Emploi avec une kalachnikov ? Toujours est-il que les internautes sont méchants. Prenez, au hasard, les forums de France Télévisions consacrés à Roland-Garros : c’est un jet de bile ininterrompu à la face des commentateurs. « Equipe de boulets », « soporifiques », « médiocres », « pranchouillards » (que nous traduirons librement par « franchouillards ») et autres « Chamoulaud MDR ». Certains internautes sont à ce point de désespoir qu’ils réclament, pour remplacer l’équipe en poste, Philippe Candeloro. Dites, les enfants, pour boulets, soporifiques, médiocres et pranchouillards que soient Lionel Chamoulaud, Arnaud Boetsch, Patrice Dominguez, François Brabant, Laurent Luyat, Tatiana Golovin et Nelson Monfort, ce sont des êtres humains tout de même, et qui ne méritent pas tel opprobre. Si ? Ah bon, d’accord. Dr Garriberts au service.
« La vieille Chamoule »
Ce n’est pas parce qu’on passe près de quinze heures par jour ensemble (oui, ça commence à 10 heures sur France 4, se poursuit l’aprèm sur France 2, s’il le faut sur France 3, pour revenir en cas de prolongation nocturne sur France 4, avant un résumé dans la nuit sur la Deux), ce n’est pas pour autant, donc, qu’on va se vautrer dans la familiarité la plus crasse. Lionel Chamoulaud, c’est Lionel Chamoulaud. Et pas, même si c’est tentant, « la vieille Chamoule ». Pas plus de « Dom » pour Patrice Dominguez, ni de « Nono » pour Arnaud Boetsch. Distance journalistique, oui, c’est cela, coco. Mais la vieille Chamoule (on n’a pas pu résister), Dom et Nono sont tellement proches de leur objet qu’à ce niveau de familiarité, on frise le point DSK.
Murray ? Non : « Andy. » Federer ? Non : « Roger », pardon « Rodjeur ». Tsonga ? Là, gaffe, double familiarité. Puisque le joueur est français, il y a double contraction : « Jo-Wil. » De même, Gilles Simon se voit-il servir un« Gilou » qui mériterait - à notre humble avis - un bon coup de raquette dans la tronche. Certains ont droit, sur des critères mal définis, à la contraction de leur nom. Dites « Djoko » et pas Djokovic, voyons.
En fait, il semble que tout ça soit fonction du degré d’affection. Robin Söderling est-il opposé à Gilou qu’il peut s’asseoir sur « Rob » et restera tout du long « Söderling ». Voire, s’il se permet de battre Gilou, « le Suédois ». Ou « le Viking ». A l’inverse, Nadal, sauf à égorger en direct un petit ramasseur de balles, sera, non pas Rafael, mais bien « Rafa », prononcé tout en « f » slurpisants. En même temps, pourquoi s’étonner quand les commentateurs vont jusqu’à appeler la compétition « Roland ». En attendant « Roro », assurément.
« …Mmmm… »
Ah qu’ils sont horripilants à touj… Mais désolé, c’est l’heure de la pub. Ou du clip de la « Fédé » (voir supra). Ou de la pub. Ou du clip de la « Fédé ». Ou alors, c’est l’heure de basculer sur un autre match, tout ça parce qu’un Français est en train de se faire éreinter. Car le tennisman français - généralement une pompe à vélo - prime sur tout.
Sinon, entre les pubs et les clips, nos amis les commentateurs se livrent à des prédictions. Parce qu’à les entendre, le tennis, plus qu’un sport, est un genre d’ésotérisme où tout peut s’interpréter à l’aune de signes à lire dans les entrailles de Jimmy Connors. « Allez, Gilles, décrypte Boetsch, c’est toujours bon de sauver deux balles de match. » Et trois, c’est pas bon ? L’adversaire s’essuie trois fois le visage que Chamoulaud traduit, savant :« C’est un signe intéressant. »
Cette superstition de terre rebattue se double de psychanalyses délivrées en direct et au ras du filet : « La haine de la défaite, c’est ça qui a fait gagner Andy Murray », certifie le Dr Dominguez diplômé en psychologie à l’université Henri-Leconte. Ben oui. Et l’amour de la victoire aussi. Pourtant, juste avant, il était « dans une spirale négative ».
Des pros, nos commentateurs. Des as à qui on ne la fait pas. Ainsi Chamoulaud a repéré un truc, là, dans le match entre Söderling et Simon et délivre aussitôt son analyse : « …Mmmm… Il est moins bien, là, le Suédois… » Deux minutes après, balle de match, et il gagne, le Suédois. Même vista de Dominguez nous certifiant sur facture au sujet de tel joueur :« Des revers comme ça, il pourrait en passer tout l’après-midi. » Et bing, le revers suivant ne passe pas.
« Holala »
Dire si les commET DONC LE MECentateursME DIT sont un petCE TRUC DE FOU. Non mais attendez : vous parlez pendant qu’on écrit ? Toutes proportions gardées, c’est la même chose : les commentateurs de France Télévisions bavassent pendant les échanges. « Respire », qu’ils disent à Gaël Monfils, des fois qu’il aurait décidé de se mettre en apnée. Ou : « C’est trop long. » Ah d’accord, c’est donc ça quand la balle arrive derrière la ligne et qu’un type hurle « Faute ! » Passons sur les « holala » accusant réception de la balle dans le filet, les « allez » d’encouragement et les bruyantes aspirations indiquant que, là, c’est tout juste si elle est dedans, pour s’interroger sur un des grands classiques du journalisme tennistique.« 3-3, égalité parfaite », énonce Chamoulaud. Oui, contrairement à 4-3, qui est une égalité pas du tout parfaite. A moins que ce ne soit une inégalité parfaite.
C’est qu’au service raquette de France Télévisions, on jongle avec le verbe. Et l’on prise le bon mot : « Arrête, Fisch » (Chamoulaud). Ou : « C’est le retour de Chela, mon cher Ringo » (Luyat). Lourds, nos amis ? On ne peut pas vous laisser dire ça. Regardez la façon dont Tatiana Golovin est mise en valeur : gros plan sur son visage quand Luyat a droit à un cadrage beaucoup plus large (des points noirs, peut-être) et plan informatif dévoilant cuissot et talons hauts comme ça. Comme l’a dit lors de la rencontre Federer-Monfils un commentateur dont nous tairons le nom, non par charité chrétienne mais parce qu’on a oublié qui c’était : « Tennistiquement parlant, il y a beaucoup de beauté dans tout cela. »
Paru dans Libération du 04/06/2011
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