De quoi s’agit-il ? D’attitudes mentales, de postures de l’esprit et des processus de la raison matérialisés dans le poème, non de descriptions de paysages automnaux comme aurait pu nous le faire croire le titre à résonance bucolique. C’est assez rare en poésie, du moins, de cette façon aussi systématique. C’est une succession d’huis-clos, de petites scènes mentales, de dramolets de l’esprit. Mais si nous sommes aux antipodes du lyrisme, du sentiment, nous le sommes tout autant de la glorification des théories ou autres constructions abstraites, de « l’inféconde fiction intellective » : la méfiance envers les « structures postiches », les classements et rangements illusoires qui « défigurent la face / la bourbe vivante du monde » se voit sans cesse réaffirmée, l’attention étant toujours portée de préférence aux « nuages gonflés d’imprécision », à ce qui se défait, ce qui reste froncé, embrouillé. Le poème, qui vise juste et se dirige droit sur les questions les plus fondamentales de l’existence, demeure étrangement très concret. Il se rapproche en cela de l’allégorie ; le lecteur se pose d’ailleurs souvent la question : est-ce une allégorie, est-ce le réel ? « La sensation se donne toujours immédiatement pour une pensée en acte inséparable de la perception affective qui l’engendre. Chez Cattafi, sentir c’est penser. Et penser n’est rationnellement possible qu’à partir d’une sensation. C’est dans cette inextricable imbrication de l’émotif et du mental que cette poésie trouve sa vibration propre » écrit Philippe Di Meo dans sa très belle postface.
Peut-être au fond peut-on qualifier ces poèmes de réductions, réductions abruptes, coups de sonde dans la matière vive et mentale repartant chaque fois d’un point différent. Cette « grise matière » chante-t-elle ? peut-elle suffire à nourrir une inspiration poétique ? il faut croire que oui : « la nuit, j’en entends le chant étouffé / le jour le douloureux rugissement ». C’est une poésie décolorée, désenchantée, mais voulue telle, crée par une ombre vacillante à « l’identité effondrée » souhaitant « se déporter hors-sujet », un « inquiet lorgneur inconnu ». Ces « pépites » que le poète « picore » dans une lumière d’arrière-saison sont de précieuses pilules contre l’illusion. Ne nous contentons pas de faux-semblants, ne confondons pas la vie avec le semblant de vie, la vie coupée de la vie, cette queue de lézard qui continue de bouger, semble nous dire Cattafi. Certes, le sens ne se laisse pas gagner facilement, sinon il n’est encore qu’illusion. Toujours « le monde survient / sans échappatoire et en coups de vent » et pour survivre, il est souvent nécessaire d’« abaisser sa tension artérielle à ses valeurs minimales », de se faire passer pour plus mort que vif. Pourtant l’alouette s’élève encore et encore, quand bien même la balle qui va l’abattre existe déjà.
Françoise Le Bouar
Bartolo Cattafi
L’Alouette d’octobre
Traduit de l’italien et postfacé par Philippe Di Meo
Edition bilingue
Atelier La Feugraie, 2010