« Mis en joue – sans plaisanterie ! – sentant la fraîcheur
du canon appuyé contre son front, le joyeux Poète
contrepèteur – faut-il le rappeler ! – aura beau s’égosiller
qu’il n’a jamais prétendu que telle ou telle poétesse
(dont il taira le nom et se refusera à donner l’adresse !)
aimait les belles verges mais rectifions ! – puisque telle est
la dramatique tension de la situation ! – les vers belges,
insistons !, Les vers belges ! Vous comprenez : les vers belges !
Rien à voir avec le vit de Verhaeren ou le zobi de Verheggen ! »
La langue de Jean-Pierre Verheggen est un carnaval ; il danse sur les mots comme un bouffon sur les tréteaux, gesticule le bon sens et balance dans les airs du poil à gratter, fait tomber de son piédestal l’image du poète ; et, à l’image d’un Rabelais réunissant la haute société et la basse société, inversant tantôt les conditions sociales, réunissant le savant et ce qu’il appelle le populo (dans une bordée de jurons éruditissimes, mais façon capitaine Haddock, adressée aux poètes…
« Qu’ils soient libellistes mâche-lauriers ;
kroumirs bucoliastes ; rapsodes macrocéphales ;
bardes sans-soif ; chantres nyctalopes ;
félibres mégalomanes ; sous-nourrissons des muses ;
ectoplasmes parfaits ; protozoaires symbolistes ;
librettistes couronnés ; satrapes de jeux floraux ;
flibustiers décasyllabiques ; parnassiens des Alpes ;
moussaillons du luth ; Pindare scolaires ;
hélicons prudents ; tyrans de la tirade héroïco-comique ;
vaudevillistes charentais en pantoum ;
chansonniers royaux ; bougres d’hémistiches paltoquets ;
ravagés du lipogramme mou ; canaques de l’anapeste ;
troubadours mi-figue ; podologues amphibraques ;
échotiers pour chiens ; fabulistes crépusculaires ;
Anacréon biodégradables ;
champions de la complainte odoriférante ;
sumos de l’épigramme au sommet ;
accordeurs de lyres nasales ou récitants prolixes d’enflures caca d’oie… »).
Le haut et le bas langage font bon ménage. L’exagération verbale et l’outrance calembouresque ouvrent des brèches dans l’implicite érudit, en cela font de l’œuvre une œuvre ouverte, généreuse, multipliant les possibilités de rire intelligemment.
[Jean-Pascal Dubost]
1Qui ne rit jamais, un hapax : inventé par Rabelais à partir d’une racine grecque, et par lequel il désignait, dans l’épître dédicatoire du Quart Livre, ces censeurs qui dénonçaient l’hérésie de ses livres, c’est-à-dire ces « folastries joyeuses » offensant Dieu et le roi par le rire.
2Si on considère son premier opus, La Grande Mitraque, Fagne, 1968.
Jean-Pierre Verheggen
Poète bin qu’oui,
poète bin qu’non ?
Gallimard
144 p., 15€