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Poète bin qu’oui, poète bin qu’non ?, de Jean-Pierre Verheggen (Par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

 
Verheggen Le rire n’est pas le propre du poète français d’aujourd’hui, n’a jamais été le propre de la poésie française (qui serait un tantinet bouffie d’auto-suffisance et d’esprit sérieux ? agelaste1 ?) ; le franc rire, s’entend, et rire sérieux autant, porteur d’une pensée qui en appelle à l’adhésion étonnée d’un riant aux éclats, le rire joyeux et moqueur, du monde et/ou de soi ; rire qu’il faut différencier du sourire (celui que provoque, en littérature, la satire, ou l’ironie), ce rire contenu et intérieur, parce que la visée est plus sarcastique, voire méchante (type « L’autre jour, au fond d’un vallon/Un serpent mordit Jean Fréron ;/Que croyez-vous qu’il arriva/Ce fut le serpent qui creva », Voltaire). Un manque de nuance jettera (et a jeté) tout dans le même panier du rire. Il faudrait distinguer poètes du sourire (tels les satiristes comme Clément Marot, Mathurin Régnier, ou mélancoliques ironiques, tel Tristan Corbière, et passons sur moult autres nuances) et poètes du rire, un rire de la panse, un rire du ventre, excessif et libérateur, carnavalesque en ce qu’il bouleverse une vision du monde établie, tels Georges Fourest ou… Rabelais ? (car la poésie française est chiche, redisons-le en poètes du rire). Un poète belge depuis quarante-trois ans1 nous donne quelques leçons de poétique du franc rire, Jean-Pierre Verheggen. Lequel ne cesse de moquer la (belle) poésie, la (belle) langue, tout ce qui prétendument afférit au beau, en des textes proches de la gaberie médiévale, la joyeuse raillerie. Dans ce nouvel opus, avec un titre sans aucune hésitation pour le calembour le plus lourd possible, afin d’accentuer le trait et le paradoxe, il déploie un éventail de portraits de poètes en « Poète » par accentuation de poncifs qu’il rend risibles. Homo risibilis (homme doté du rire) parmi les sérieux et le sérieux, utilisant un vocabulaire de la place publique ingénieusement distillateur d’un implicite érudit, Jean-Pierre Verheggen provoque le rire intelligent par un burlesque dénonçant les attitudes et postures de ces sujets soi-disant nobles de l’histoire littéraire française, les poètes. On rira du poète en petite gloire locale, ou du poète pouf pouf, du poète chevalier des arts et des lettres, du poète belgo-belge et du poète contrepèteur (autoportraits ?), etc. 
 
« Mis en joue – sans plaisanterie ! – sentant la fraîcheur 
du canon appuyé contre son front, le joyeux Poète 
contrepèteur – faut-il le rappeler ! – aura beau s’égosiller 
qu’il n’a jamais prétendu que telle ou telle poétesse 
(dont il taira le nom et se refusera à donner l’adresse !) 
aimait les belles verges mais rectifions ! – puisque telle est 
la dramatique tension de la situation ! – les vers belges, 
insistons !, Les vers belges ! Vous comprenez : les vers belges ! 
 
Rien à voir avec le vit de Verhaeren ou le zobi de Verheggen ! » 
 
La langue de Jean-Pierre Verheggen est un carnaval ; il danse sur les mots comme un bouffon sur les tréteaux, gesticule le bon sens et balance dans les airs du poil à gratter, fait tomber de son piédestal l’image du poète ; et, à l’image d’un Rabelais réunissant la haute société et la basse société, inversant tantôt les conditions sociales, réunissant le savant et ce qu’il appelle le populo (dans une bordée de jurons éruditissimes, mais façon capitaine Haddock, adressée aux poètes… 
 
« Qu’ils soient libellistes mâche-lauriers ; 
kroumirs bucoliastes ; rapsodes macrocéphales ; 
bardes sans-soif ; chantres nyctalopes ; 
félibres mégalomanes ; sous-nourrissons des muses ; 
ectoplasmes parfaits ; protozoaires symbolistes ; 
librettistes couronnés ; satrapes de jeux floraux ; 
flibustiers décasyllabiques ; parnassiens des Alpes ; 
moussaillons du luth ; Pindare scolaires ; 
hélicons prudents ; tyrans de la tirade héroïco-comique ; 
vaudevillistes charentais en pantoum ; 
chansonniers royaux ; bougres d’hémistiches paltoquets ; 
ravagés du lipogramme mou ; canaques de l’anapeste ; 
troubadours mi-figue ; podologues amphibraques ; 
échotiers pour chiens ; fabulistes crépusculaires ; 
Anacréon biodégradables ; 
champions de la complainte odoriférante ; 
sumos de l’épigramme au sommet ; 
accordeurs de lyres nasales ou récitants prolixes d’enflures caca d’oie… »).  
 
Le haut et le bas langage font bon ménage. L’exagération verbale et l’outrance calembouresque ouvrent des brèches dans l’implicite érudit, en cela font de l’œuvre une œuvre ouverte, généreuse, multipliant les possibilités de rire intelligemment.  
 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
 
 
1Qui ne rit jamais, un hapax : inventé par Rabelais à partir d’une racine grecque, et par lequel il désignait, dans l’épître dédicatoire du Quart Livre, ces censeurs qui dénonçaient l’hérésie de ses livres, c’est-à-dire ces « folastries joyeuses » offensant Dieu et le roi par le rire. 
2Si on considère son premier opus, La Grande Mitraque, Fagne, 1968. 
   
 
Jean-Pierre Verheggen 
Poète bin qu’oui, 
poète bin qu’non ? 
Gallimard 
144 p., 15€ 
 


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