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Patrick Weil: la France ne peut abandonner la binationalité qui s'impose partout

Publié le 06 juin 2011 par Letombe

emmigre-bouc-emissaire1.jpgAprès les députés de la Droite populaire, c'est au tour de Marine Le Pen de vouloir mettre fin à la loi sur la double nationalité, tandis qu'Henri Guaino reconnait l'intérêt de débattre sur la question. Pour l'historien Patrick Weil, la bi-nationalité permet l'intégration des immigrés et le rayonnement de la France dans le monde.

En adressant  une lettre sur la binationalité aux députés, Marine Le Pen renoue avec la tradition de l’extrême droite française, de l’Action française, qui a toujours voulu faire croire aux Français que leurs compatriotes qui avaient une autre nationalité étaient des agents du pays dont ils avaient conservé la nationalité sans toujours d’ailleurs le vouloir ou le savoir. C’est le même type de soupçon à l’égard de cette catégorie de compatriotes que le FN, mais aussi une partie de la droite parlementaire essaye d’instiller. La double nationalité est un facteur d’intégration et un facteur de l’influence française dans le monde. Cela n’a rien de contemporain, cela a été pensé après la Première Guerre mondiale dans un contexte où il s’agissait de savoir si des Allemands installés en Alsace pouvaient garder la nationalité allemande tout en devenant Français ; c’était un contexte où l’on pouvait quand même penser qu’il fallait se méfier de ce type de statut. Au lieu de ça, la France a considéré qu’il n’y avait que des avantages à ce que des Français conservent des liens culturels et des liens d’affaires avec des pays étrangers : on y percevait des atouts pour le développement de la France et pour son influence.  Deuxièmement, on a considéré que c’était à nous de décider qui on voulait faire Français. La France a le droit de dire qu’elle considère ces personnes comme françaises. En France, il est impossible d’invoquer la double nationalité. La loi française s’applique à tous les Français quand ils sont en France, il n’y a pas de statut spécial mais un traitement semblable. Alors que la France était seule, avec le Royaume-Uni à accepter, au début du XXe siècle, la double nationalité, tous les pays l’acceptent et l’adoptent aujourd'hui, ce qui rend encore plus absurde l'idée d'un retour en arrière sur cette question.
La binationalité est un fait auquel on ne peut plus toucher car il est le produit direct de l’égalité homme/femme. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la femme qui épousait un homme d’une autre nationalité perdait sa nationalité. Ainsi, les enfants qui naissaient n’avaient qu’une seule nationalité. L’égalité homme/femme s’est développée et aujourd’hui la femme conserve sa nationalité quand elle épouse un homme d’une autre nationalité. Elle a les mêmes droits que l’homme de transmettre sa nationalité à ses enfants. Pourquoi cela a favorisé l’intégration ? Car quand vous ne dites rien, quand vous êtes indifférent, les gens n’y pensent plus. Alors que si vous n’arrêtez pas de les stigmatiser comme Claude Goasguen veut le faire, en les inscrivant sur un registre, les affecter d’un statut spécial, on contrevient non seulement à la Constitution, mais aussi à l’intégration. Très souvent, les gens ne savent même pas s’ils ont la double nationalité. SI on les force à le savoir, on les inscrit dans la double nationalité et dans un sentiment de discrimination.  Je ferai deux autres remarques :  1) Deux pays parmi les plus fermés de l’Europe à l’intégration ont accepté dans les dernières années la double nationalité : la Suisse et le Luxembourg, qui sont pourtant beaucoup plus restrictifs que l’Allemagne, par exemple, en matière d’attribution de la nationalité. L’Allemagne est dans une situation intermédiaire, elle l’a acceptée pour les enfants nés de parents de nationalités différentes, elle a fait un énorme pas vers l’acceptation, elle n’est pas arc-boutée sur le refus.  2) L’UMP a fait voter un amendement à la Constitution pour faire élire des députés à l’Assemblée nationale par des Français de l’étranger. Or  une grande proportion des Français de l’étranger possède une double, voire une triple nationalité. Si elle devait être candidate dans la circonscription Amérique des Français de l'étranger, Christine Lagarde aurait été élue par des Américains. Thierry Mariani, de son côté, est candidat à la circonscription de l’Europe de l’Est. Sont-il tous deux pour la suppression de la double nationalité ? Sont-ils favorables à ce qu'on inscrive ces électeurs français sur des registres particuliers ? Ces Français qui sont à l’étranger et qui ont une autre nationalité se sentent Français et sont des atouts pour l’influence de la France dans leurs pays de résidence. C’est ce que tous les pays du monde ont compris. Marine Le Pen, Claude Goasguen tirent des balles dans le corps et dans la tête de la France. Ils relancent des débats archaïques qui sont d’autant plus absurdes que nous avons eu raison, nous avons été en avance sur ce sujet il y a plus d’un siècle. Il faut enfin arrêter de dire que la double nationalité peut peser sur la politique étrangère de la France. La présence massive d’Italiens en France ne nous a pas empêchés de faire la guerre à Mussolini en 1939-1940 et d’avoir des Italiens qui s’engageaient dans l’armée française contre leur propre pays.  Ce que ce débat marque, pour conclure, de la part de ces politiciens, c’est un manque de confiance dans la France, dans ses valeurs, dans sa capacité de rassemblement, d’unité autour de ses valeurs historiques. Après la Première Guerre mondiale, la France était dirigée par des républicains qui avaient confiance en elle, en ses valeurs historiques, les quatre piliers  de la nationalité- l’égalité, la langue française, la mémoire positive de la Révolution et la laïcité que j’ai évoquées récemment dans un petit texte Etre français.
Aujourd’hui ces valeurs qui unissent les Français sont manipulées par un pouvoir qui cherche à les diviser : entre croyants et non croyants; entre musulmans et non musulmans et maintenant entre mono et bi nationaux. Autour de ses valeurs la France garde un énorme potentiel d’intégration et de rayonnement dans monde, et pour cela les binationaux sont un atout: il nous faut donc sortir d’un débat régressif et malsain qui nous rabougrit, sortir de ces divisions artificielles et se tourner vers un avenir à construire ensemble.  Patrick Weil - Tribune http://www.marianne2.fr/


Patrick Weil est directeur de recherches au CNRS, auteur de Etre français, les quatre piliers de la nationalité (édition de l'Aube)

crédit Photo (Flickr - Mattneale - CC)

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